BD de la semaine
Fichue famille
Librement inspiré du roman d’Adriaan Van Dis, ce magnifique roman graphique débute en 1945 alors que la guerre avec les Japonais prend fin. Sur le territoire de la toute nouvelle république d’Indonésie, ce sont 300 000 Européens et métis assimilés qui, après la chute des colonies, doivent rentrer chez eux, sans accompagnement. Monsieur Java revient ainsi aux Pays-Bas avec sa femme et ses trois filles issues d’un précédent mariage. Sur le territoire hollandais, ils donneront naissance à un garçon : le Gosse. Cet enfant devra vivre avec ce père à moitié fou, rescapé de la guerre et des camps de prisonniers japonais, qui ne s’est jamais remis de cette période et qui lui conte des histoires vécues naguère. Écrasé par les injustices de l’Histoire, celui-ci entraîne toute sa famille dans ses obsessions, sans jamais cesser de les aimer. Ce récit plutôt émouvant esquisse avec finesse les blessures intimes d’un exilé s’estimant lésé par un pays qui le rejette. Egalement scénariste, Peter Van Dongen signe un dessin dans la superbe lignée d’Edgar P. Jacobs – créateur de la légendaire série Blake et Mortimer –, en osmose avec l’époque à laquelle se déroule un récit dévoilant un pan méconnu de l’histoire européenne.
Dupuis.
Une amitié singulière
Achevée en 2006, la série Albany & Sturgess nous plongeait avec délice au cœur de la scène littéraire britannique ponctuée d’intrigues policières façon Agatha Christie. Cette magnifique intégrale au format roman graphique réunit l’ensemble des récits liés à Francis Albany, Olivia Sturgess ainsi que la trilogie Blitz. Héros de papier, Sturgess et Albany sont également dramaturges, écrivains et journalistes. Dans un somptueux jeu de miroirs entre fiction et réalité, qui doit autant à Borges qu’à Hitchcock, Floc’h – artiste majeur de la ligne claire – et François Rivière ont mis en scène les oeuvres imaginées par leurs héros. Mais ces fascinants exercices de style sont avant tout de remarquables portraits de Londres pendant la Seconde Guerre mondiale, chroniques de la grandeur britannique au plus fort des épreuves. Nourrie de références multiples, une oeuvre so british d’une rare élégance à (re)découvrir !
Dargaud.
Baume du tigre
Ce récit graphique monochrome suit les pas d’une famille d’immigrés asiatiques au sein de laquelle trois générations de femmes tentent, chacune à leur manière, de fuir le poids des traditions, abandonnant la protection du clan, pour conquérir leur liberté. Ald, immigré asiatique et patriarche tyrannique, veille sur son clan avec autorité. Aussi, lorsque sa petite-fille aînée, Edda, annonce qu’elle veut être médecin plutôt que de travailler dans le restaurant familial, sa colère prend des proportions terribles. Bien décidée à forger son propre destin, Edda entraîne alors ses soeurs Wilma, Isa et Etta dans un périple loin de chez elles. La route vers l’indépendance se fera-t-elle au prix de leur héritage culturel ? Abordant avec sensibilité les thèmes de l’exil, du poids du passé et des racines familiales, ou de l’émancipation, Lucie Quéméner signe un ouvrage attachant dessinant le portrait de jeunes filles en quête de liberté et d’indépendance, s’affranchissant du joug patriarcal. Une BD féministe au dessin faussement naïf.
Delcourt.