L’agrivoltaïsme, ou comment faire compliqué, quand on peut faire simple
L’implantation de panneaux solaires, sur des terres agricoles, fait dorénavant l’objet d’un régime juridique spécifique. L’objet de cette législation est de s’assurer que l’activité photovoltaïque demeure accessoire et compatible avec l’activité agricole. Toutefois, les conditions posées sont plurielles et restreignent l’accessibilité, voire la sécurité juridique, des projets.
À l’heure du sursaut écologique et dans un contexte de hausse des prix de l’électricité, les regards se tournent vers les terres agricoles : plutôt que d’y semer céréales et légumes, pourquoi ne pas plutôt y planter des panneaux solaires ?
La question se pose en particulier dans les régions éloignées de la nôtre, où la terre est moins fertile, moins rare, moins chère, et où une récolte d’électricité peut s’avérer plus rentable qu’une moisson de blé.
La peur du paysan énergéticien, vivant de ses rentes en inondant les terres françaises de panneaux solaires asiatiques, a néanmoins poussé le législateur à encadrer cette activité dite «d’agrivoltaïsme», par la loi du 10 mars 2023 relative à «l’accélération de la production d’énergies renouvelables».
Mais le terme d’«accélération», repris dans l’intitulé de la loi, est mal choisi, car il aura fallu attendre le 8 avril 2024, soit plus d’un an, pour obtenir son décret d’application et que les conditions posées compliquent inutilement les projets.
L’idée de la législation est simple : les parcelles agricoles doivent demeurer à usage agricole et, si activité photovoltaïque il y a, elle doit demeurer accessoire de l’activité agricole principale, et compatible avec celle-ci.
Reste à savoir à partir de quand l’activité agricole demeure principale par rapport à l’activité photovoltaïque. Et sur ce point, les pouvoirs publics n’ont pas manqué d’imagination.
Le porteur de projet devra ainsi démontrer à l’administration, qu’après l’installation des panneaux, la moyenne de rendement à l’hectare n’est pas inférieure à 90% du rendement d’une parcelle dite «témoin», dépourvue de panneaux.
Cette parcelle témoin doit elle-même répondre à 5 critères (relatifs à sa surface, sa situation géographique, son état pédoclimatique…), et ces critères n’étant pas encore suffisamment définis, le décret renvoie à un arrêté pour les préciser.
Le porteur de projet devra également démontrer que l’installation photovoltaïque apporte «un service» à la parcelle, en améliorant son «potentiel et son impact agronomique», en l’«adaptant au changement climatique», en la «protégeant contre les aléas», ou encore en «améliorant le bien-être animal».
Autant dire qu’il faudra faire preuve d’imagination, que les dossiers de demande seront épais, et que nos exploitants agricoles auront du mal à monter leurs dossiers seuls, sans le concours d’un bureau d’étude.
L’instruction des demandes n’est plus assurée par le maire, mais par le préfet, dorénavant seul compétent pour délivrer les autorisations d’urbanisme requises (permis de construire, déclaration préalable), après avis de la Commission départementale de préservation des espaces naturels, agricoles et forestiers. Enfin, la mise en service est conditionnée à un contrôle préalable de l’installation, et de la parcelle témoin, par un organisme agréé.
Il faudra donc prendre son mal en patience, pour assister à «l’accélération de la production d’énergie renouvelable», tant voulue par le législateur.
Les critères de l’agrivoltaïsme, particulièrement ouverts et ambigus, sont sources d’incertitudes juridiques, que les opposants aux projets d’agrivoltaïsme, ne manqueront pas d’exploiter devant les Tribunaux administratifs.
Charles-Eric THOOR, Avocat associé du cabinet Bignon Lebray. Inscrit au barreau de Lille, droit public, droit de l’environnement, droit rural