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La Place de l’autre

Pour le spectacle de sortie, après trois ans de formation, des 14 comédiens et 2 auteurs de la promo 5 de l’Ecole du Nord, Christophe Rauck met en scène l’ultime pièce de Jean-Luc Lagarce, Le Pays lointain, texte imaginé comme une extension et une variation autour d’une œuvre antérieure, Juste la fin du monde. Propos du metteur en scène et de Christophe Pellet, qui a travaillé sur l’adaptation, avant la création.

© Simon Gosselin
© Simon Gosselin

Pourquoi avez-vous ajouté trois personnages au texte de Jean-Luc Lagarce ?

Christophe Pellet : C’est un projet monté dans le cadre d’une école qui réunit quatorze comédiens et, comme souvent pour des représentations avec une importante distribution, nous avons dû adapter la pièce pour obtenir l’équité et avons ajouté trois rôles supplémentaires. Le rôle d’une deuxième sœur à partir du personnage de l’aînée présente dans J’étais dans ma maison et j’attendais que la pluie vienne, le personnage de Madame Tschissik de Nous les Héros qui commente l’ensemble des événements, à la manière du coryphée antique, puis le rôle d’un narrateur dont le texte est constitué d’extraits du Journal intime du dramaturge. L’intention de Christophe Rauck est de mêler des auteurs au groupe d’acteurs pour permettre une approche différente de l’écriture, de la nourrir du vivant et du plateau. Dans Le Pays lointain, l’écriture de Lagarce est si cohérente qu’on peut la manipuler sans la briser ni la fractionner. Sa langue évolue en cercle, et cette circonvolution de l’écriture nous place devant le défi de ne pas ajouter de parties trop redondantes. Mais nos ajouts ne perturberont pas réellement sa linéarité ni ses thématiques.

© Simon Gosselin

Christophe Rauck : Ce spectacle donne à chacun la possibilité d’être vu, entendu, regardé à des endroits singuliers de son jeu d’acteur. L’esthétique baroque, l’écriture presque shakespearienne, avec la présence des amis et amants morts, offre des possibilités de jeu multiples, une grande théâtralité et poésie. J’aime particulièrement penser le plateau à l’endroit de l’acteur. La question du réel me plaît mais seulement lorsqu’elle est bien travaillée. Je préfère me demander comment donner vie au tragique de l’œuvre, à sa poésie. Il y a deux voyages en présence ici, celui de cette jeune promotion dont le parcours à l’école se termine et dont la carrière va commencer, et celui de la pièce, d’une profondeur tragique extrême, toutefois parsemée d’humour.

 

 

Quels sont vos choix de mise en scène ?

Christophe Rauck : En termes de scénographie, nous avons travaillé avec Carlos Franklin, un jeune plasticien vidéaste issu de l’école du Fresnoy – Studio national des arts contemporains, à Tourcoing. L’image vidéo aura donc sa place sur ce plateau sans l’inonder, elle est œuvre à part entière en même temps qu’appui de jeu aux acteurs ; le texte étant assez fort pour générer de l’image par lui-même. La pièce commence avec les acteurs au plateau, après une lecture du texte. Ils entrent dans l’espace et la matière corporelle, ils cherchent la relation à l’autre de façon frontale, avec des appuis de jeu concrets, le mobilier de la salle à manger, le dossier de la chaise où s’est assis le frère… Il y a différentes temporalités à appréhender chez Lagarce, le temps rêvé, le temps inexistant ou qui a disparu, le présent pur. Il faut jouer alors avec ces disparités : avec les fantômes et les survivants, entre disparition et apparition, entre le réel et la poésie pure, et la façon dont l’aujourd’hui existe pour que l’hier s’y love. Avec cette création, le texte devient un objet réinventé et inédit, par l’introduction des voix et personnages supplémentaires, issus d’autres pièces pour commenter l’histoire elle-même et les êtres qui s’y rencontrent une dernière fois. Ajouter au titre Un Arrangement est une manière de dire au public qu’il s’agit d’une adaptation à une situation autre, à la fois complexe et très simple : la création d’une communauté d’artistes et la fin d’un cycle. L’écriture de Lagarce est très musicale, ce qui permet d’envisager l’ensemble comme une partition dont chaque instrument fait partie d’un tout en même temps qu’il s’écoute indépendamment.

Propos recueillis par Moïra DALANT pour le Festival d’Avignon (extraits).

Représentations du 19 au 23 juin au Théâtre du Nord, Grand-Place à Lille. Renseignements et réservations au 03 20 14 24 24 ou sur www.theatredu nord.fr

 

Puis du 20 au 23 juillet au festival d’Avignon.