«Routes de l'artisanat d'art» en France
La subtile équation entre tourisme et artisanat d’art
Cet été, il est possible de parcourir des «routes de l'artisanat d'art» dans de nombreuses régions. Toutefois, cet artisanat pourrait encore plus tirer parti de la saison touristique. À condition de mettre en place une stratégie fine et d'éviter un potentiel effet «zoo» des visites d'ateliers...
L'artisanat d'art et le tourisme font-ils bon ménage ? Durant le mois d'août, les bijoux inspirés de la mer d'Ali Peter sont exposés à la Maison des Métiers d'art de Pézenas, ville de 8 000 habitants située entre Bézier et Montpellier. Ali Peter est une créatrice de la ville, tout comme les autres artisans- sculpteurs, peintres, potiers... - dont les pièces sont vendues dans la Maison des Métiers d'Art. «Les visiteurs se rendent à Pezenas parce que c'est une ville de patrimoine et des métiers d'art», explique Philippe Huppé, président de l'association Ville et métiers d'art qui regroupe près de 110 collectivités impliquées dans cette thématique.
Pézenas est membre de l'association et sa mairie mène une politique très active de soutien à l'économie des métiers d'art. C'est dans ce cadre que s'inscrit le projet de la Maison des Métiers d'art qui a été déployé avec la Communauté d’Agglomération Hérault-Méditerranée et l'association Ateliers d’Art de France, qui fédère 6 000 artisans d'art. À Pézenas, les métiers d'art constituent donc un facteur d'attractivité touristique en soi.
Offre complémentaire
Ailleurs, ils peuvent jouer le rôle d'offre complémentaire. «Sur la côte d'Azur, par exemple, certains touristes viennent pour un séjour un peu long, de 10 ou 15 jours. Pour eux, la découverte d'un savoir-faire artisanal, la visite chez un artisan d'art peut s'ajouter à d'autres propositions d'excellence de la région, comme les restaurants étoilés, le golf ou les promenades en bateau», analyse Philippe Huppé.
De fait, à travers la France, les initiatives sont nombreuses qui s'efforcent de conjuguer tourisme et artisanat d'art, émanant des artisans eux-mêmes, des collectives locales (régions, communes...), des CMA, Chambres des Métiers et de l’Artisanat, offices du tourisme... Comme en Aveyron, où une dizaine d'artisans d'art sis sur le territoire de l’office de tourisme communautaire de Conques-Marcillac accueillent les visiteurs dans leurs ateliers pour présenter leurs savoir-faire.
Marqueteur sur paille, créateur verrier, licière, coutelier : quelque 70 rendez-vous ont été programmés pour les mois d'été. En Dordogne, 113 artisans ou collectifs sont recensés dans le guide «Route des Métiers d’Art», imprimé à 20 000 exemplaires et distribué gratuitement un peu partout. Là aussi, il s'agit de faire connaître les verriers ébénistes ou graveurs qui ouvrent leurs portes. L'initiative est portée par plusieurs acteurs, la CMA Nouvelle-Aquitaine - Dordogne et ses partenaires, le Conseil départemental Dordogne-Périgord et Dordogne-Périgord Tourisme.
Un label «Artisan du tourisme»
Dans une démarche voisine, la CMA des Hauts-de-Seine a créé un label «Artisan du tourisme» en 2018. Il est désormais délivré dans cinq départements d’Île-de-France (Yvelines, Essonne, Hauts-de-Seine, Val-de-Marne et Seine-et-Marne) dévoile le quotidien économique Les Échos du 23 mars dernier. Au total, près de 200 artisans (pâtissiers, charcutiers, brasseurs, fleuristes, selliers, céramistes, tapissiers) ont été labellisés.
En
dépit de ces initiatives, beaucoup reste à faire pour que le
tourisme constitue une vraie ressource pour les artisans d'art, mais
cela passe par la mise en place d'une stratégie élaborée. C'est en
particulier l'avis de Stéphane
Galerneau, président de Ateliers
d’Art de France. Vis-à-vis de l'enjeu du tourisme, il
plaide pour la définition de «stratégies
de valorisation des savoir-faire
locaux, avec une offre basée sur une identité bien identifiée».
Et aussi, pour une généralisation de ces démarches sur le
territoire.
Cette année, Stéphane Galerneau a mené des
concertations avec collectivités locales et CMA,
afin
d'établir des «feuilles
de route»
destinées à favoriser l'économie des métiers d'art et qui
comprennent un volet touristique. Fruit de ces concertations, des
boutiques - un peu sur le modèle de celle de Pézenas - , pourraient
essaimer sur le territoire.
«Les visites d'ateliers ne sont pas forcément possibles»
«Tenues par un vendeur, ces boutiques valoriseraient le savoir-faire des artisans et des créateurs locaux. Ces derniers viendraient simplement tenir des permanences à tour de rôle pour rendre le lieu vivant. Ainsi, ils ne seraient pas bloqués toute la saison, au détriment de leur production, comme c'est le cas dans les boutiques pop-up organisées par les créateurs eux-mêmes», décrit Stéphane Galerneau. Ces lieux constitueraient un outil complémentaire par rapport aux circuits de visites dans les ateliers, déjà organisés par des collectivités locales. «Cette démarche permet aux artisans d'être en relation directe avec leurs clients, ce qui est important pour eux, même si les visites ralentissent le rythme de leur production. Sur une durée déterminée, cela reste avantageux pour eux», analyse Stéphane Galerneau.
Toutefois, les visites d'ateliers ne sont pas adaptées à tous les métiers, ni forcément possibles. En effet, «pour les entreprises, il est possible de s'adapter comme le fait Fragonard, à Grasse. Mais dans les ateliers, les visites demandent vraiment une organisation avec une collectivité, par exemple, qui programme des venues de groupe. En revanche, dans le cas du tourisme individuel, c'est plus compliqué. Un artisan qui travaille seul ne peut pas avoir dix personnes qui regardent ce qu'il fait sans rien acheter», poursuit Philippe Huppé.
En outre, spectateur n'est pas acheteur. «Il ne faut pas que cela devienne un zoo : un atelier n'est pas un lieu où l'on se balade, où l'on retarde l'autochtone et on repart. Il y a une quinzaine d'années, les métiers d'art ont servi de produit d'appel pour faire vivre glaciers et les restaurateurs. Aujourd'hui, ce n'est plus le cas. Les maires font attention à ce que le tourisme contribue à faire vivre les artisans, ce qui nécessite d'attirer un tourisme un peu sélectif», conclut Philippe Huppé.