Etude Ipsos/Qualitel
Le logement craquelle sous les nouveaux usages
Sous l'impact des crises, la manière dont les Français utilisent leur logement a changé, montre une étude Ipsos/Qualitel. Mais ces pratiques nouvelles qui impliqueraient de faire bouger les murs sont freinées par les contraintes économiques.
En matière de logement, de nouveaux usages se sont-ils installés depuis la pandémie qui a marqué le début d'une série de crises successives ? Oui, répond l'étude «Le logement, grand témoin des nouveaux modes de vie des Français». La 7ème édition du baromètre Ipsos pour Qualitel a été rendue publique et suivie de commentaires de professionnels du secteur, le 12 octobre.
En quelques années, les Français ont été confrontés à une multitude de crises sanitaire économique, énergétique, environnementale et sociale, sur fond de contexte international dramatique. «Quel est l'impact de ces crises sur la manière d'habiter, quels sont les nouveaux modes de vie qui émergent et le logement est-il toujours adapté ?», interroge Bertrand Delcambre, président de l’association Qualitel. «Le rapport au logement a changé. Aujourd'hui, on l'investit de manière différente», répond Estelle Chandèze, directrice adjointe d'Ipsos. De toit protecteur, le logement est devenu lieu de convivialité. «Nous constatons que suite à la crise du Covid, et très probablement aussi en lien avec l'inflation, certains usages se sont installés dans la durée», poursuit-elle.
Selon l'étude, depuis trois ans les Français sortent moins souvent de chez eux, qu'il s'agisse d'aller au restaurant ou au café (49% des sondés), au cinéma (46%) ou pour faire du sport (27%). En miroir, certains usages sont devenus plus fréquents à domicile, comme se faire livrer un repas (28%), regarder un film ou des séries (25%) ou de faire des séances de sport (24%).
Les motivations invoquées à ce changement sont variées, mais elles semblent montrer que les Français ont pris goût à ce nouveau mode de vie. Ainsi, 68% d'entre eux continuent à regarder films et séries chez eux parce qu'ils trouvent cela confortable ou alors, parce qu'ils considèrent que c'est aussi efficace ou agréable que de pratiquer cette activité à l'extérieur. Parmi les autres motivations invoquées figurent aussi le gain de temps (30% pour la livraison de repas à domicile et 20% pour la pratique du sport). En revanche, les motivations économiques ne sont avancées que dans un seul cas, celui des films regardés à la maison (20%).
22% des télétravailleurs mécontents
L'étude réalise aussi un focus sur deux autres usages qui ont évolué, mais qui concernent une partie beaucoup plus restreinte de la population, l'usage du vélo et le télétravail. Concernant ce dernier, 61% de ceux qui le pratiquent déclarent le faire plus souvent qu'il y a trois ans. Les raisons invoquées : le gain de temps ( 28% des sondés, un score qui grimpe à 37% en Ile-de-France), suivi du confort et de la flexibilité. Mais les logements ne sont pas nécessairement adaptés à cet usage. Près de la moitié des sondés (47%) déclarent qu'il leur arrive de travailler dans la pièce à vivre ou le salon (un score qui monte à 54% en appartement ), 41% disposent d'un espace ou un bureau dédié (30% en appartement), 19% travaillent dans la chambre.
Et l'étude montre que tous les Français concernés sont loin d'avoir adapté leur logement à ce nouvel usage : 31% d'entre eux l'ont fait en installant un espace de télétravail et 18% seulement ont aménagé une pièce indépendante. Résultat, 22% des sondés disent ne pas être satisfaits de leur installation, et ce score grimpe à 28% lorsque plusieurs personnes télétravaillent au sein d'un même foyer.
Un autre usage s'est développé, même si dans une moindre mesure, montre l'étude : 17% des Français qui possèdent un vélo l'utilisent plus au quotidien, qu'il y a trois ans. Pour les autres, le développement potentiel de cette pratique semble limité : 87% ceux qui n'ont pas de vélo n'ont pas l'intention d'en acheter un. Et parmi eux, 20% évoquent comme raison un manque de place pour le ranger à leur domicile (31% pour ceux qui vivent dans un appartement). Concernant les voitures électriques, 88% des interrogés déclarent ne pas en vouloir acheter. Et le manque de borne de recharge à domicile ou à proximité semble constituer un problème majeur : il n’est cité par 41% des personnes. «On constate une appétence pour les mobilités douces, mais le manque d'équipement dans le logement peut constituer un frein important pour le développement de ces pratiques», analyse Estelle Chandèze.
La surface des logements a diminué
Parmi les intervenants venus commenter les résultats du sondage, Jean-Michel Woulkoff président de l'UNSFA, Union des architectes, qui exerce à Lyon, a témoigné de son activité. Parmi ses clients figure un couple qui, en raison du télétravail, n'est pas retourné au bureau depuis deux ans. «Ils ont acheté une maison dont ils veulent faire un lieu où ils puissent accomplir toute leur vie, de famille, de couple, de travail... Dans ce cas, le plus souvent, il faut pouvoir modifier les espaces, car il n'est pas toujours possible d'agrandir le logement», explique l'architecte. Pour lui, il s'agit d'une nouvelle tendance à laquelle doit s'adapter toute la filière du logement : le besoin d'une construction qui permette de reconditionner plus facilement l'espace, en ajoutant une porte ou en reconfigurant la disposition des pièces, en fonction de l'évolution des usages d'un logement.
Mais au delà de ces évolutions souhaitées par une partie de la population, les résultats de l'étude révèlent aussi qu'en matière d'usages du logement, «l'enjeu économique est prégnant», note Antoine Desbarrières, directeur de l'association Qualitel. Le sondage montre l'importance d'une attitude particulièrement marquée chez les jeunes vis à vis du logement : le considérer comme une source de revenu potentielle. Une partie non négligeable des propriétaires a envisagé ou déjà pratiqué la location (17%), l'échange (20%) ou la revente d'électricité (28%). Et c'est très vraisemblablement leur difficulté à se loger qui explique l'intérêt des 18 à 24 ans (38% d'entre eux) pour la solution du logement intergénérationnel.
En toile de fond de ces évolutions révélées par le sondage, la situation du logement est sombre, complètent chercheurs et professionnels. «Le parcours résidentiel classique que nous connaissions n'est plus accessible pour les ménages», pointe Jean-Michel Woulkoff. Il faut renoncer à cet idéal immobilier qui démarrait avec l'appartement en centre-ville à coté de la fac, suivi du pavillon avec jardin pour abriter la vie de famille, et, une fois les enfants envolés, le retour en centre-ville dans un appartement un peu plus grand. Par ailleurs, «tendanciellement, la surface dans les logements diminue et cela induit une sorte de petit bricolage, de déplacement des fonctions des pièces, avec des équipements comme le congélateur qui se retrouve au salon», rappelle Yankel Fijalkow, sociologue et urbaniste.