Le musée du XXIe siècle aura-t-il encore des murs ?
Le musée Van Gogh d'Amsterdam organise des expositions d’œuvres virtuelles, conçues à partir des originales, et qui traversent le monde.... Comme lui, de plus en plus de musées bouleversent leur fonctionnement, dans une interprétation très large de leur mission de diffusion des œuvres d'art auprès du public, conjuguée à la recherche de nouveaux revenus.
Le ministère de la Culture organisait récemment à Paris la 5ème édition de son forum «Entreprendre dans la culture» et une conférence était consacrée à la «stratégie de marques et partenariats : le pari gagnant». Mais le témoignage de Laurine Van Rooijen, directrice commerciale du musée Van Gogh d’Amsterdam, a montré que les initiatives des musées vont bien au-delà du fait d’accorder à un fabricant de tee-shirts la possibilité d’y reproduire un dessin célèbre… Soucieux de se faire connaître, soumis à la nécessité de trouver des revenus supplémentaires, les musées les plus novateurs multiplient des opérations diverses où la communication, la diffusion d’œuvres ou de dispositifs qui s’en inspirent et la recherche de gains immédiats, deviennent de plus en plus difficiles à distinguer.
Avec une orientation générale, qui consiste à sortir des murs : ainsi, le musée Van Gogh vit plus dans le monde virtuel que physique : chaque année, il accueille 2,3 millions de visiteurs (86% viennent de l’étranger), mais il est suivi par 13 millions de personnes sur les réseaux sociaux ! De plusieurs manières, «le musée parvient à toucher des cibles plus larges, qu’on ne touche pas normalement, pour leur faire connaître l’œuvre du peintre», explique Laurine Van Rooijen. Ainsi, le musée d’Amsterdam organise des «pop up tours» aux Etats-Unis : il s’agit d’expositions où sont présentées des répliques à l’identique des tableaux, en 3D. Autre formule, «Meet Vincent Van Gogh», où les visiteurs pénètrent dans des pièces sombres et sont immergés dans un univers numérique qui évoque celui du peintre. «C‘est une manière de toucher le public qui ne viendra pas à Amsterdam», commente Laurine Van Rooijen.
Autre démarche encore, les objets reproduisant les œuvres sont vendus dans la boutique en ligne du musée, mais aussi dans les aéroports, et dans tous les circuits de distribution des marques auxquelles le musée a accordé une licence. Et là, la liste semble infinie, entre sacs, montres, linge de maison, chaussettes, bière, valises, papier peint…et même… une poussette de bébé. «Cela permet de promouvoir l’image du musée, mais aussi d’en tirer des revenus qui sont réinvestis dans le musées. Le risque financier revient à celui qui prend la licence, ce qui rend le modèle économique très intéressant pour le musée», analyse Laurine Van Rooijen.
Poussettes, tennis et macarons…
Le musée qu’elle représente n’est pas le seul à se lancer dans ces démarches : par exemple, le British Museum de Londres a réalisé une exposition temporaire dans un luxueux centre commercial de Shanghai, à l’aide de 40 répliques d’objets du musée, d’animations interactives, et d’un «pop up store». Toujours à Shanghai, la National Gallery de Washington a réalisé de la publicité dans le métro, pour ensuite établir un pop up store dans un centre commercial de Guangzhou, qui a attiré 150 000 visiteurs en quatre jours… Direction le Japon : le Moma, musée new-yorkais d’art moderne, a ouvert une boutique permanente à Tokyo.
En toile de fond de ces phénomènes de commercialisation d’objets, les grandes institutions muséales sont désormais rompues aux pratiques qui consistent à délivrer des licences ou à réaliser des opérations de co-branding avec des marques privées : Ladurée fabrique des macarons spécialement conçus pour le château de Versailles, Zara, des vêtements aux images des œuvres du Prado, Vans, des chaussures avec les tournesols de Van Gogh, en collaboration avec le musée van Gogh d’Amsterdam. Il existe une gamme de cosmétiques à l’effigie de la Cité Interdite de Pékin. Le musée Victoria & Albert de Londres est particulièrement actif dans le domaine, avec, notamment, un partenariat avec une marque de lingerie, Coco de Mer. Quant au British Museum, ses œuvres décorent des smartphones Meitu en édition limitée (style rococo). Autre démarche adoptée par les musées, des partenariats également susceptibles de générer une couverture médiatique. C’est le cas, par exemple, de celui noué par le Rijkshmuseum d’Amsterdam avec Louis Vuitton : la marque de luxe a réalisé un coffre spécifique, afin de transporter La laitière, la précieuse toile de Vermeer, vers le Ueno Royal Museum de Tokyo, au Japon en 2018.