Digitalisation, durabilité, crises successives…
Les experts-comptables aux avant-postes auprès des entreprises
Résilience des entreprises françaises, enjeux de la digitalisation et de la durabilité pour les TPE-PME, difficultés rencontrées avec le guichet unique… Le point sur plusieurs sujets d’actualité avec la présidente du Conseil national de l’ordre des experts-comptables, Cécile de Saint Michel, auditionnée au Sénat.
Alors
que le pays connaît des crises successives depuis 2020, «les
entreprises françaises ont montré une forte résilience, avec le
soutien sans faille de l’État», a déclaré la
présidente du Conseil national de l’ordre des experts-comptables
(CSOEC), Cécile de Saint Michel,
lors de son audition par la Délégation aux entreprises du
Sénat, le 4 mai dernier. «Je ne peux pas dire qu’il n’y
a pas eu de casse mais, globalement, le mur de la dette annoncé et
le nombre de défaillances d’entreprise prédit ne sont pas au
rendez-vous».
«Nous
sommes bien loin d’une défaillance
généralisée»
Avec des niveaux de défaillances inférieurs en 2022 à ceux de 2019, et des niveaux pour 2023 proches de ceux de 2019, «nous sommes bien loin de ce que certains, pessimistes, appelleraient une défaillance généralisée», a-t-elle poursuivi, avant de présenter d’autres chiffres qui illustrent le dynamisme actuel de l’économie française.
«En 2022, le chiffre d’affaires
des TPE et PME françaises a augmenté de 9,5% par rapport à 2021 et
de 12,6% par rapport à 2019, ce qui équivaut à un taux de
croissance annuel moyen de 4%.» Même si ce taux moyen
masque des disparités géographiques et sectorielles et doit être
corrigé de l’inflation, «il est difficile de parler de
récession, même s’il ne faut pas éluder les difficultés
rencontrées par les entreprises, qu’elles soient derrière nous,
avec la crise Covid, ou actuelles, avec la crise énergétique et le
contexte inflationniste».
Des
propositions pour améliorer les dispositifs d’aide aux entreprises
Dernièrement,
la profession d’expert-comptable s’est d’ailleurs mobilisée
sur le terrain des aides déployées par le Gouvernement pour faire à
face à l’alourdissement de la facture énergétique. «Ces
aides ont souvent pu être complexes à mettre en œuvre ou
concernent peu d’entreprises du fait des conditions d’éligibilité
parfois trop strictes. C’est la raison pour laquelle nous avons
alerté notre ministère de tutelle et proposé des amendements à
ces dispositifs pour que plus d’entreprises puissent en bénéficier
et de manière plus simple.»
Les
TPE et PME , cibles des cybercriminels
Avec
la digitalisation, les entreprises françaises sont
actuellement confrontées à plusieurs défis. Et, en premier lieu,
aux cyberattaques, dont la fréquence a explosé ces derniers
mois. «Une entreprise sur deux déclare avoir été victime
d’une cyberattaque et en avoir subi les conséquences»
et «60% des victimes de cyberattaques sont des TPE-PME»,
a précisé la présidente du CSOEC. Perte de données,
indisponibilité des systèmes informatiques, arrêt de la
production, perte de chiffre d’affaires… Les chiffres étant
basés sur le nombre des cyberattaques signalées, «cela
signifie qu’elles sont beaucoup plus nombreuses».
Facturation
électronique : les TPE et PME pas encore prêtes
En
matière de digitalisation, la profession d’expert-comptable «est
aujourd’hui équipée pour accompagner ses clients sur ces sujets,
analyser leur sécurité numérique et les aider à se créer une
identité numérique». Elle va notamment accompagner le
déploiement de la facturation électronique, qui va concerner toutes
les entreprises à compter du 1er juillet 2024. Or,
pour l’heure, «seule une entreprise sur trois aurait
commencé une démarche de mise en place de la facture électronique.
Les TPE et PME françaises ne sont pas encore prêtes
opérationnellement, mais vous pouvez compter sur les
experts-comptables pour qu’elles soient au rendez-vous».
Durabilité
et reporting extra-financier
Autre
grand défi pour les entreprises : la durabilité. Un terrain
sur lequel «notre rôle est primordial», a
expliqué la représentante des experts-comptables. Identification
des aides, décarbonation de l’activité, économie d’énergie,
amélioration de la chaîne d’approvisionnement, optimisation de la
gestion des déchets… Sans oublier les nouvelles obligations de
reporting extra-financier prévues par la future directive
européenne. «Nous serons en mesure de vérifier la
fiabilité des informations extra-financières et de les intégrer
dans les comptes annuels.»
Haro
sur le guichet unique
Interrogée
sur les principales difficultés que rencontre la profession
aujourd’hui, Cécile de Saint Michel n’a pas mâché ses mots à
propos des dysfonctionnements du guichet unique des
entreprises, depuis le début de l’année. «C’est un
vrai frein à l’activité, aujourd’hui», a-t-elle
déclaré, en pointant «les effets collatéraux désastreux
d’un système défaillant». Elle a aussi déploré le
fait que les experts-comptables n’ont
pas été associés à la conception de cette plateforme, alors
qu’ils en sont les principaux utilisateurs. Résultat : «on
passe un temps fou sur ce guichet à faire défiler des pages et des
pages pour enregistrer trois informations…».
L’état
des lieux qu’elle a dressé de la situation actuelle est assez
inquiétant dans la mesure où l’échéance fixée par le ministère
de l’Économie pour résoudre tous les dysfonctionnements,
initialement prévue fin mars, a été repoussée à fin juin. «Les
créations [d’entreprises],
ça fonctionne à peu près bien. Les modifications et cessations,
c’est toujours très compliqué. Quant aux dépôts des comptes,
environ 95% sont refusés par les greffes aujourd’hui.»
Or, «si on n’est pas en mesure de déposer les comptes
annuels sur la période de juin-juillet, on risque d’avoir, à
l’automne, des ruptures de crédit pour les entreprises.»
Un
manque criant de nouvelles recrues
Enfin, l’autre grand défi auquel est actuellement confrontée la profession est le manque d’effectifs. «D’ici à 2025, près de 30 000 postes seraient à pourvoir dans les métiers de l’expertise-comptable. Les cabinets peinent à trouver de nouvelles recrues à cause d’une attractivité fragile. La profession comptable souffre d’une mauvaise image, injustifiée au regard de la richesse des missions et de l’utilité qui est la nôtre.» Un chantier sur lequel le CSOEC, qui représente environ 21 000 professionnels, et sa présidente, élue en décembre dernier, vont continuer de s’investir.