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Une déflagration théâtrale

Epicentre tellurique d’une passionnante saison théâtrale concoctée par Gilbert Langlois, cette adaptation de Bajazet par Frank Castorf devrait ébranler les murs de l’Hippodrome tant l’art du metteur en scène allemand plonge au cœur de la matière textuelle pour en extraire le noyau nucléaire et irradier le spectateur.

© Mathilda Olmi
© Mathilda Olmi

Agent provocateur du théâtre européen depuis quarante ans, directeur de la célèbre Volksbühne de Berlin de 1992 à 2017, Frank Castorf est devenu une référence pour sa direction d’acteurs, son utilisation de la vidéo dont il fut l’un des premiers à explorer les ressorts dramatiques et ses vertigineuses adaptations de romans – notamment Dostoïevski avec qui il partage le goût pour l’analyse sociale lucide et crue. La scène est ainsi pour lui l’espace idoine pour à la fois dévoiler toutes les formes d’asservissement autant que le moyen tangible et immédiat de les dépasser.

Pour cette création en français, il porte au plateau Bajazet, tragédie turque de Racine, qui se déroule à Byzance dans le sérail du palais du sultan Amurat, parti assiéger Babylone. En son absence, le vizir Acomat complote pour mettre Bajazet, alors emprisonné, sur le trône. Roxane, favorite d’Amurat, est amoureuse de Bajazet et correspond avec lui grâce à Atalide, qui n’est autre que l’amante secrète de Bajazet… Dans cette pièce incandescente, l’amour y est une passion destructrice, le pouvoir s’avère mortel, la politique contredit la fraternité et la sincérité des actes et des sentiments. C’est par la parole que les personnages du théâtre de Racine font exploser les cadres sociaux qui leur interdisent de vivre leurs désirs, désir passionnel et désir de liberté – une parole exigeante et radicale, parfois mortelle s’il le faut.

Frank Castorf rapproche alors Racine d’Antonin Artaud, autre poète de la démesure vitale qui s’extirpe par le verbe de ce que sa naissance, son corps et son environnement lui imposent. Levier psychologique autant que social et politique, espace mouvant où s’entremêlent intime et collectif, les mots deviennent alors le déclencheur par lequel l’être se révèle tandis que le personnage renaît à lui-même, devenant l’acteur d’une vie pleinement vécue. Porté par une formidable équipe d’interprètes francophones – dont Jeanne Balibar et Jean-Damien Barbin –, ce spectacle est assurément l’un des événements majeurs de la saison théâtrale.

© Mathilda Olmi

Représentations les 28 novembre à 20h et  29 novembre à 19h à l’Hippodrome, place du Barlet à Douai. Renseignements et réservations au 03 27 99 66 66 ou sur www.tandem-arrasdouai.eu