Downs, la révolution de l'agroéquipement
Installée en plein cœur des Flandres, à Sainte-Marie-Cappel, l'entreprise Downs a tout d'une success story, passée de petit négociant agricole à constructeur de machines à haute valeur technologique, le groupe exportant aujourd'hui 55% de sa production aux quatre coins du globe. Entretien avec Damien Dubrulle, un dirigeant avisé et visionnaire qui a toujours eu le sens des affaires.

Sur
le marché de l'agro-équipement, l'entreprise Dubrulle Downs s'est
taillée une place de choix ces dernières années. Un statut qui
s'explique en partie par une stratégie réussie autour de l'IA
embarquée sur des machines permettant d'assister les producteurs de
pommes de terre et autres légumes racines dans la phase de
post-récolte.
Vous
figurez aujourd'hui parmi les leaders français sur le marché de
l'agroéquipement. Vous avez parcouru du chemin pour en arriver là,
racontez-nous l'histoire de Dubrulle-Downs.
Une
histoire avant tout familiale car l'entreprise Dubrulle a été créée
par mon oncle en 1973, et reprise en 1993 par mon père. Je suis
arrivé également cette année là, nous n'étions alors que trois.
A l'époque, nous étions l'importateur de l'entreprise anglaise Downs, qui n'était pas assez distribuée au début. Nous achetions
des machines qu'on revendait en France. Résultat, entre 1993 et
1999, notre chiffre d'affaires a été multiplié par 30. Puis un
jour, on nous a dit qu'on passait trop de commandes. Alors nous avons
commencé à construire des machines que nous sous-traitions partiellement, avant de
bâtir une usine en 2002 avec un bureau d'études intégré en 3D, ce qui était assez novateur pour l'époque. Nous avons donc
commencé à fabriquer de toutes petites machines pour le déterrage,
la manutention et le tri des pommes de terre. Et quelques années
plus tard, nous avons racheté Downs.
Cette
acquisition stratégique en 2006, est-ce un véritable tournant ?
Oui !
Downs a été créée en 1860 en Angleterre. C'était une vieille
usine dans le Suffolk. Nous avons racheté les plans, les brevets, les stocks de
pièces, le savoir... Un choix fait avant tout pour nos clients
puisque nous avons toujours mis le client au centre de toutes nos
décisions. On a commencé à exporter au Japon, puis de nombreux
pays par la suite comme la Nouvelle-Zélande ou encore le Canada,
notre premier pays à l'export actuellement. Chaque année, notre
chiffre d'affaires augmentait : on est passé de 4 M€ à 7 M€
en 2017, soit quasiment doubler le CA en 10 ans. Puis un autre
tournant a eu lieu en 2017, lorsque je fais la rencontre d'un jeune
entrepreneur qui venait de monter sa start-up dans l'IA à Paris. En
2017, personne ne parlait encore d'IA et il m'a dit une chose :
ce que l'œil humain peut voir, l'IA peut le voir et l'analyser
beaucoup plus vite. Je n'ai pas fermé l'œil de la nuit et j'ai pensé, conçu les bases de trieur optique en une nuit. Nous avons par la suite axé
notre conception sur la technologie de pointe et l'IA.
En
2021, vous remportez la médaille d'or des Innovation Awards de la machine de l'année en Europe au salon SIMA (Salon
International des Machines Agricoles) devenu depuis AgriSIMA.
En quoi vos machines ont été en quelque sorte une révolution pour
le secteur ?
Entre
2017 et 2019, nous avons développé énormément, déposé des
brevets, et donc créé des machines avec de l'IA embarquée notamment
le "Crop vision" (trieur optique), notre produit phare qui analyse
jusqu'à 35 millions de photos à l'heure. En 2020, on a mis en route
cette machine à raison de gros volumes horaire, on parle jusque 100
tonnes/heure, c'était fantastique. Jusqu'à présent, on enlevait
mottes et cailloux, tout ce qui était non végétal. Désormais,
nous sommes capables d'enlever mottes, cailloux, balles de golf, canettes de soda, mais
surtout les pommes de terre vertes, difformes, pourries, coupées,
crevassées, germées... On peut tout enlever grâce à trois
sorties sur l'équipement : les bonnes pommes de terre en sortie principale, les mottes et cailloux
d'un côté, la seconde qualité en troisième sortie. Cela permet
de se passer de la main d'œuvre pour des tâches ingrates, mais
aussi de revaloriser les écarts de triage pour l'alimentation du
bétail ou pour la méthanisation et surtout de ne pas mettre de
mauvaises pommes de terre (estimées à 3 à 4%) dans les stockages.
C'est donc un gain de temps et un gain d'argent considérable pour
les producteurs de pommes de terre.
Quelles
machines complètent votre offre ?
Nous
commercialisons donc des trieurs optiques (le "Crop Vision" ce qui signifie vision des tubercules), des
trémies de réception, des élévateurs téléscopiques, des convoyeurs, des
remplisseurs et des videurs de caisses, des calibreurs. Il
faut savoir que nous concevons des machines sur-mesure : le
client belge n'a pas le même besoin qu'un client français, pourtant à quelques kilomètres car ils ne travaillent pas de la même façon. Notre
machine la plus conséquente mesure 18 mètres de long et permet une capacité de travail en bonnes conditions jusqu'à 100 tonnes/heure (en pommes de terre d'industrie).
Comment
s'est traduite la croissance des ventes ces dernières années ?
Nous
commercialisation le premier CropVision en 2020. L'année
suivante, nous prévoyions 5 ventes, nous en réalisons 6, puis 26 en
2022, 54 ventes en 2023, 73 en 2024. Cette année, nous allons en
vendre plus d'une centaine... Sur les ventes au global, nous tournons
autour de 350 machines annuelles.

Cela
a t-il nécessité une réorganisation en interne ?
Effectivement.
Nous comptons 118 collaborateurs dont 34 personnes en recherche et
développement. C'est énorme, il y a très peu d'entreprises avec un
budget R&D aussi important (plus de 10 % d'investissement par an, ndlr).
Nous avons développé en interne notre propre IA, base data, banque
de photos, nos propres algorithmes, on a intégré beaucoup de
nouveaux profils : 32 personnes ont rejoint l'aventure en 2024
et déjà 18 en 2025, c'est le signe d'une forte croissance.
Que
représente l'export dans votre CA ?
55%
cette année ! L'objectif est d'atteindre 70% d'ici 4 ans. Nos
trois premiers pays à l'export sont le Canada, l'Angleterre et la
Belgique. Notre CA est passé de 9 millions d'euros en 2020 à 30 M€
cette année. L'objectif est d'atteindre 40 millions en 2026.
Pensez-vous
implanter des bureaux à l'étranger au vu de votre activité tournée
vers l'international ?
C'est
prévu en effet ! Nous avons comme projet d'ouvrir des
bureaux en Amérique du Nord et également de s'implanter en Europe dans les deux ans à venir pour maîtriser davantage
la partie commerciale, support (SAV) et les développements
nécessaires. Nous avons une filiale en Angleterre créée en 2022.
Vous
avez inauguré votre toute dernière usine en 2023 à Sainte-Marie-Cappel. Il fallait
absolument pousser les murs ?
C'était
inévitable ! L'ancienne usine en 2015 était dimensionnée pour
répondre à 15 M€ de CA, désormais le site de production s'étend
sur 12 000 m² et est dimensionné pour 50 M€ de CA. On ne pouvait
pas continuer à ce rythme sans améliorer le site de production.
Aujourd'hui, on maîtrise quasiment toute la chaîne de valeur, on ne
sous-traite qu'une très faible partie de notre assemblage. Les
équipes ont effectué un gros travail de cartographie des flux.
L'ensemble de la surface est optimisée. L'investissement est monté
à un peu plus de 10 M€. On retrouve désormais un système de
manutention avec un picking 4 fois plus rapide mais également deux
magasins automatiques dédiés à la préparation de pièces avant
montage. Ils comptent 51 plateaux par niveau qui peuvent contenir
jusqu'à 750 kg de pièces par plateau. Le bureau des méthodes envoie une liste
de pièces et grâce à la machine qui pointe avec un faisceau laser,
le collaborateur n'a plus qu'à prendre la pièce. C'est révolutionnaire.

Quel
sera l'impact du réchauffement climatique sur votre activité ?
La
fenêtre de récolte sera beaucoup plus limitée, il faudra donc
récolter beaucoup plus vite d'où
l'importance de miser sur des machines innovantes. Les nôtres ont
une durée de vie de 20 ans. Actuellement, la pomme de terre
représente 90% de l'activité ; l'oignon, 10%. Mais nous
travaillons sur des sujets de développement autour de la betterave
rouge, le panais et la carotte. Et nous pouvons cibler encore d'autres
nombreux domaines avec nos machines innovantes en matière de tri.
Face à cela, comment se traduit votre politique RSE ?

Nous avons installé des panneaux solaires sur 5 000 m². Nos nouvelles machines consomment 4 fois moins d'électricité que les anciennes, ce qui a permis d'améliorer nettement notre bilan carbone. Nous sommes également dotés d'un système de récupération des eaux de pluie, d'un système de récupération de chaleur sèche ainsi que d'une mini station d'épuration pour retraiter nos eaux de dégraissage avant peinture. Quant à la qualité de vie de nos salariés, nous avons tenu à rendre l'usine lumineuse et équiper tous les murs et plafonds de pièges à son afin de rendre les conditions de travail agréables. Enfin, nous tenons à ce que les opérateurs ne bougent plus une pièce manuellement si elle fait plus de 20 kilos.
En
quoi avez-vous une carte à jouer sur le marché de
l'agroéquipement ?
Le
marché de l'agroéquipement en France pèse 18 milliards de CA, 300
milliards à l'échelle du monde. La France est le premier marché
européen. Le secteur des Agroéquipements est le deuxième secteur
le plus technologique derrière l’aéronautique et le spatial, il y
a plus de technologie dans un tracteur que dans une voiture, les
robots sont déjà présents dans de nombreuses fermes, les datas et
l’IA sont de plus en plus présents. Il faut savoir qu'en 1960, il
y avait 1,5 million d'agriculteurs en France, ils seront 300 000
agriculteurs en 2030... De moins en moins de personnes veulent
travailler dans les fermes, la population mondiale augmente rapidement
et les gens mangent de plus en plus de pommes de terre (frites hors domicile), de plus en plus de produits de qualité
et se montrent plus respectueux envers la planète. Ces problématiques
constituent notre Everest, comment nourrir, plus de monde, avec moins
d’agriculteurs, avec une fenêtre de récolte qui a tendance à
diminuer tout en produisant des pommes de terre de qualité en
respectant d’avantage la planète. La seule réponse possible,
c'est la mécanisation. Rajouter de l'IA dans nos machines, augmenter
la productivité, c'est ce qu'on a fait : moins de main d'œuvre,
plus de débit, une diminution de la consommation électrique, une
amélioration de notre bilan carbone et surtout une amélioration de
la qualité de travail pour nos clients à un coût de production
amélioré.

Questions Bonus
Une personne qui vous inspire ?
Nicolas Chabanne – Fondateur de C’est qui le patron ? Il a bousculé un secteur agricole et agroalimentaire figé, avec une vision centrée sur
la transparence, la juste rémunération des producteurs et l’écoute des besoins terrain.
Un lieu ?
La nature, la campagne, la mer, la montagne…, mais de la quiétude, des balades et de bons produits Français.
Des conseils à un jeune dirigeant ?
Entoure-toi vite et bien. Monte une équipe solide dès le départ. Recrute des gens meilleurs que toi sur leurs sujets.
Apprends à déléguer. Le micro-management tue la croissance. Délègue avec clarté, fais confiance, et contrôle sans étouffer.
Garde le cap, mais reste agile. Tu dois incarner une vision claire… tout en restant capable de la réajuster en fonction du terrain.
Maîtrise tes finances. Savoir lire un bilan, gérer ta trésorerie et anticiper tes besoins de financement, c’est vital.
N’oublie pas le terrain. Reste connecté à tes clients, tes équipes, tes produits. Ne te laisse pas enfermer dans ton bureau.
Apprends à dire non. Toutes les opportunités ne se valent pas. Choisis ce qui te rapproche de ta stratégie.
Soigne ta culture d’entreprise. Elle se construit dès les premiers mois. Les valeurs que tu portes deviennent des réflexes partagés.
Ne cherche pas à plaire à tout le monde. Un bon dirigeant prend des décisions difficiles. Tu seras critiqué, c’est normal.
Prends soin de toi. Fatigue, isolement, charge mentale : dirigeant ne veut pas dire super-héros.
Apprends en continu. Lis, échange avec d’autres, dirigeants, fait toi coacher, tu n’as jamais fini d’apprendre
Chiffres clés
- 118 collaborateurs dont 32 en Recherche et Développement (R&D)
- 30 millions d'euros de chiffre d'affaires
- Objectif CA : 40 M€ en 2026
- 55% à l'export
- Site de production : 12 000 m²
- Ventes : plus de 350 machines par an
Une entreprise polyglotte
Chez Downs à Sainte-Marie-Cappel, on maîtrise une vingtaine de langues parmi lesquelles le néerlandais, l'allemand, l'arabe, le perse, l'anglais, etc... Une équipe polyglotte notamment au sein du bureau d'études mais aussi dans l'équipe commerciale : «Nous vendons des machines de la Nouvelle-Zélande jusqu'au Canada» indique fièrement le dirigeant.
Le saviez-vous ?
La Chine est le premier pays producteur de pommes de terres au monde avec 100 millions de tonnes par an, suivi de l'Inde, deuxième avec 50 millions de tonnes/an. La France pointe elle à la huitième position avec 8 millions de tonnes annuelles.