Spécial BD
Monde futuriste et réminiscences lointaines
Sélection de quelques BD oscillant entre futur antérieur et passé recomposé.
Utopie
Ce premier volet d'une trilogie de science-fiction cosignée Rodolphe et Griffo nous plonge dans un effrayant monde futuriste orwellien à travers le destin de Will Jones qui vit dans le loft d'une tour high tech d'une riche métropole avec ses implants mentaux et un androïde pourvoyant à son bonheur. Son travail à l'académie historique consiste à lisser les témoignages du passé pour les rendre acceptables par la population. Son ami Nigel est commandant d’une brigade de nettoyeurs, qui retirent de la société les délinquants et les réfractaires, pour les confier aux équipes de la sûreté médicale. Tout va pour le mieux mais, un jour, il trouve un livre dans la poche de sa veste alors que les livres sont interdits depuis longtemps... S'appuyant sur le dessin plutôt réaliste de Griffo et le talent narratif du scénariste Rodolphe qui peint les faux-semblants d'une société futuriste où tout est édulcoré et programmé pour le bien-être de ses habitants, cet opus inaugural pose les bases solides d'un récit d'anticipation qui interroge les paradoxes d'aujourd'hui.
Delcourt.
Miroir de nos peines
Après Au revoir là-haut et Couleurs de l’incendie, Christian de Metter achève brillamment la trilogie de Pierre Lemaitre, Les enfants du désastre. Ce troisième opus s'ouvre en avril 1940 alors que Louise se retrouve à courir nue dans Paris, en état de choc suite au suicide d’un homme âgé sous ses yeux. Tentant de comprendre ce fait divers dans lequel elle est impliquée, elle se laissera entrainer dans le passé de sa propre mère et se découvrira un demi-frère caché. Sa route croisera le destin de Raoul Landrade, qui organise des petits trafics autour de l'approvisionnement du fort du Mayenberg sur la ligne Maginot, et de Désiré, mystérieux personnage aux multiples facettes. S'il met un soin particulier à respecter l'intrigue imaginée par Pierre Lemaitre, Christian de Metter n'en signe pas moins une adaptation personnelle, s'appuyant sur une réjouissante galerie de portraits. Fidèle à son style graphique réaliste plutôt sombre, il traduit avec finesse l'atmosphère de l'époque grâce à une palette de couleurs nuancée. La superbe conclusion d'une indispensable trilogie.
Rue de Sèvres.
La petite fille et le Postman
Après avoir ausculté les entrailles de Fukushima, le scénariste Bertrand Galic et le dessinateur Roger Vidal nous plongent ici au cœur d’une Amérique en pleine mutation, écartelée entre ses archaïsmes hérités du Far West et sa modernité naissante à travers la construction de ses premiers buildings. L'intrigue s'ouvre à San Francisco, en 1906. Jenny vient de perdre sa mère dans les décombres du terrible tremblement de terre et se retrouve seule avec son beau-père, au milieu de la cité dévastée. L’homme, désemparé, profite alors d’une faille dans le règlement des postes pour éloigner la fillette, l’expédiant légalement à l’autre bout du pays. Enyeto, un facteur amérindien à l’allure imposante, est chargé de l’accompagner jusqu’à Chicago, dans l'Illinois. Ainsi débute un long périple à travers l’immensité des États-Unis, road-movie équestre et ferroviaire mettant en scène deux êtres que tout oppose. Attentionné sous ses airs bourrus, Enyeto prend soin de Jenny, l’épaule dans l’épreuve, lui redonne confiance petit à petit… Superbe roman graphique, La petite fille et le Postman se révèle comme un récit d’aventures sensible et émouvant où les deux auteurs explorent aussi des paysages intimes à travers les thèmes de l’altérité, la loyauté et la filiation.
Vents d'Ouest.
La Callas et Pasolini, un amour impossible
Cette émouvante histoire réunit deux icônes de la scène artistique des années 1960, Pier Paolo Pasolini et Maria Callas, au moment où leurs carrières et leurs amours se délitent. Autour d'eux, en 1969, c'est la danse des passions contrariées, des artistes usés par les sentiments et le cinéma, tels Elizabeth Taylor et Richard Burton. La Callas et Pasolini se croisent, le temps du tournage éprouvant de Médée, où elle joue le rôle-titre devant la caméra du poète et cinéaste. C'est la naissance d'une relation unique et complexe entre ces deux figures aux vies tourmentées. Un amour platonique, intense, qui s'épanouit le temps d'un voyage au Brésil, comme une parenthèse dans leurs destins tragiques. L'occasion pour eux de se ressourcer et de découvrir un univers fascinant et dangereux, aux antipodes des sphères mondaines italiennes auxquelles ils sont habitués. A travers ce récit, le scénariste Jean Dufaux magnifie son amour pour le cinéma et la poésie tandis que la jeune dessinatrice italienne Sara Briotti partage son amour pour sa ville natale, Rome, sublimant l'atmosphère de la dolce vita transalpine de l'époque.
Aire Libre.