Doublet, l'histoire familiale d'une entreprise visionnaire
Ses réalisations se sont affichées sur les écrans du monde entier durant les Jeux Olympiques et Paralympiques de Paris 2024. Chez Doublet, à Avelin, on cultive l'art du drapeau – mais pas uniquement ! – depuis quatre générations. En 2008, Gaëlle Colaert-Doublet reprend l'entreprise familiale avec sa soeur et son frère et avec l'envie de poursuivre une aventure entrepreneuriale unique.

C'est un siège d'entreprise qui étonne
autant qu'il en impose. Quand en 1986, Luc Doublet, le père de
Gaëlle, imagine sur papier cette pyramide transparente au milieu
d'une zone industrielle à Avelin, cela a eu le mérite de ne pas
passer inaperçu. Des espaces entièrement dégagés, quasiment sans
cloisons, l'esprit d'"open space" aujourd'hui vulgarisé
faisait ici figure d'ovni. Depuis, le siège a été quelque peu
réaménagé mais l'esprit reste là : visionnaire.
La Gazette Nord-Pas-de-Calais : Quel est votre parcours ?
Gaëlle Doublet-Colaert : Je
suis née à Lille et j'ai un parcours classique avec des études en
AES, Administration Economique et Sociale. Puis j'ai poursuivi mes
études par du marketing et j'ai rapidement commencé à travailler.
Je suis une femme de terrain et probablement parce que j'ai ce petit
côté indépendant, j'ai eu envie de faire mes preuves par moi-même.
Est-ce que naturellement, vous avez voulu entrer dans l'entreprise familiale, alors dirigée depuis 1969 par vos parents, Luc et Brigitte Doublet ?
Mes premières expériences
professionnelles au sein du groupe familial remontent à très
longtemps ! Avec mon frère Jean-Bernard et ma soeur Agathe, on est
tombés dans le bain du drapeau depuis tous petits ! On a toujours
travaillé avec nos grands-parents puis nos parents, à rouler des
drapeaux, à pousser des chariots ou à mettre dans des cartons. À 16
ans, j'ai fait un premier stage en sérigraphie, où j'ai beaucoup
appris. Puis j'ai terminé mes études, j'ai rencontré mon mari et
nous avons créé ensemble des entreprises. Et en 2002, la personne
alors en charge du marketing et de la communication chez Doublet
décide de voler vers un autre projet. Mon père m'appelle et me dit
: 'Et si tu venais mettre ce que tu sais faire au profit de la
société ?". C'était en 2002, on était alors que trois dans
le service.
Quand décidez-vous de reprendre le groupe ?
Pour être honnête, ce n'était vraiment pas tout tracé pour moi, peut-être à cause de mon petit côté rebelle et indépendant (rires) ! En revanche une fois que je suis entrée au marketing et à la communication, je me suis découverte une passion pour la communication, pour la couleur... Mais je ne m'étais jamais posée la question de diriger la société, j'étais bien à mon poste.
"Le drapeau est le plus vieux média du monde"
Puis mes parents ont commencé à se
mettre un peu plus en retrait et en 2008, on a racheté l'entreprise
avec Agathe et Jean-Bernard (ils sont aujourd'hui respectivement
Executive vice-president international business development et
general manager d'EPS-Doublet, l'entité spécialisée dans
l'impression grand format, ndlr).
D'ailleurs bien qu'étant l'aînée, c'est moi qui suis
entrée la dernière dans le groupe ! Il est aussi important de dire
que chez les Doublet, on rachète les entreprises, elles ne sont pas
données ! La valeur du travail est importante. En 2014, j'ai fini
par reprendre la direction.
Aujourd'hui, Doublet est un groupe intégré des métiers de la communication visuelle mais ça n'était pas son activité d'origine...
Quand mes grands-parents ont racheté
ce fonds de commerce existant en 1932, l'entreprise était
spécialisée dans les ornements religieux, depuis sa création 100
ans auparavant. Et d'ailleurs, nous leur avons fait un joli clin
d'oeil l'an dernier en réalisant les bannières de procession en
queue de pie dessinées par Jean-Charles de Castelbajac, pour la
réouverture de Notre Dame de Paris. Le drapeau reste le fil rouge de
toutes nos activités, même si aujourd'hui il pèse beaucoup moins
lourd qu'avant. Mais cela restera toujours notre ADN.
Aujourd'hui, le groupe Doublet couvre quels types d'activités ?
Nous proposons tout ce qui permet à
une marque, une institution ou un événement, de communiquer
correctement auprès de sa cible. On met à leur disposition du
service, du conseil, de la conception, de la création...
Aujourd'hui, grâce à toutes les entreprises du groupe, on sait
imprimer sur du textile, du PVC, du bois... On fait du display
(communication digitale), de la publicité sur lieu de vente, de
l'aménagement indoor et outdoor et le tout, de A à Z. On
internalise tout et c'est une force.

Nous avons des clients historiques
comme les institutions et les collectivités (c'est à Doublet que
l'on doit les écharpes municipales, par exemple) et on travaille
aussi avec le monde du retail. Un autre pan très important de notre
activité, c'est l'événementiel sportif et culturel. Au-delà de
proposer du produit sur-mesure, on vend de l'accompagnement, de
l'organisation et de la mise en place. On peut aller jusqu'au
dispatch multi-sites, au rapatriement et au stockage du matériel
pour nos clients, c'est du "all inclusive" !
On connaît également Doublet à travers le Tour de France. Depuis combien de temps travaillez-vous sur cet événement sportif ?
Depuis 2002 et c'est une vraie fierté
pour tout le groupe. Quand ça se passe dans la région comme ce sera
le cas une nouvelle fois cette année, nous sommes vraiment très
fiers ! Cela représente un engagement sans faille de notre client.
Construire une relation pérenne, c'est ce qu'on aime faire.
Restons dans le sport. Une autre de vos spécificités, c'est aussi de travailler pour les Jeux Olympiques, vous en avez fait une dizaine, dont les derniers de Paris 2024. Comment se prépare un tel événement ?
Pendant des années ! Tony Estanguet
était venu visiter Doublet en 2019 et je lui avais expliqué
l'importance de travailler avec des partenaires locaux et
territoriaux. Sur les Jeux Olympiques et Paralympiques de Paris, on a
oeuvré sur plusieurs aspects : d'abord, en groupement avec d'autres
sociétés sur le relais de la flamme. Ce qu'on fait avec le Tour de
France, on l'a fait en version plus importante et sur trois mois.
Ensuite, on s'est associés avec notre
homologue anglais qui s'appelait à l'époque, CSM Live, pour créer
une joint venture (durant les JO, CSM Live s'est faite rachetée par
l'américain Wasserman, ndlr). Grâce à lui, nous avons pu décrocher
le marché du look et de la signalétique des JO. Nous avions la
décoration, l'installation et la désinstallation... de tous les
sites compétition et hors compétitions.
À Avelin, on a produit entre 10 000 et
15 000 drapeaux et nos couturières en étaient vraiment très
fières. Pour autant, nous avons toujours d'autres clients et
événements auxquels on répond durant cette période. Le challenge,
c'est de ne pas déstabiliser l'entreprise. Les équipes ont vraiment
assuré, tout le monde était aligné derrière les JO et c'est grâce
à cela qu'on a pu y arriver. Les Jeux sont à chaque fois des
challenges. Rien n'est gagné à l'avance, même quand ça se passe
en France.
Le marché de la communication visuelle est-il un marché sur lequel vous faites face à une importante concurrence ?
Certains acteurs sont beaucoup plus
gros que nous et arrivent à attraper les marchés des événements
internationaux. Doublet n'est pas de cette taille et on n'y va pas
encore. Mais sur des métiers spécifiques comme les drapeaux, les
structures de signalétique, les écrans LED, oui, il y a une multitude de concurrents.
Ce qui ne vous a pas empêché, depuis 4/5 ans, de doubler de taille mais aussi de chiffre d'affaires.
Hors JO, notre dernier chiffre
d'affaires en consolidé s'élève à 55 M€, contre 40 M€ en
2023. Le groupe grossit par croissance externe, qui nous permet à la
fois d'acquérir de nouvelles parts de marché et de renforcer nos
positions. Mais aussi de nous déployer sur d'autres territoires à
l'international. Sur la croissance organique, c'est important d'être
dans un changement perpétuel sur l'optimisation des process de
travail et l'allégement des tâches pénibles pour les
collaborateurs.
Revenons sur l'international, qui représente aujourd'hui 40% de votre chiffre d'affaires. Sur quels pays êtes-vous présents à l'heure actuelle ?
En plus de la France, nous sommes
présents en Espagne, au Portugal, en Allemagne, en Belgique, et aux
Etats-Unis. On travaille sur l'implantation et l'acquisition
d'entreprises sur d'autres territoires. Nous n'avons pas encore
terminé ! Dès le départ, quand mes parents ont racheté
l'entreprise, ils avaient deux choses en tête :
l'internationalisation et l'optimisation des process de travail avec
l'ouverture d'esprit et la créativité. Je veux continuer là-dessus.
Ces dernières années, nous n'avions pas réalisé beaucoup
d'acquisitions mais là, on se redéploie de façon importante, que
ce soit sur le territoire français, en Europe ou ailleurs.
Quelles sont pour vous les forces et les faiblesses d'une entreprise familiale ?
Les sociétés familiales ont une
vision pérenne de construction, de génération.
On peut parfois donner un peu plus de temps à certaines décisions
lorsqu'on est une entreprise familiale et c'est une force. Par
contre, il faut que les rôles et les compétences soient clairement
établis parce que quand il y a de la famille, c'est normal qu'il y
ait de l'émotionnel ! Il faut juste apprendre à le piloter. Pour
moi, le challenge de l'entreprise familiale est de capitaliser sur le
poids de l'histoire, de garder sa valeur et sa vision tout en se
développant de façon agile.
En 2032, le groupe aura 200 ans, c'est un palier que peu d'entreprises arrivent à franchir. Dans quel état d'esprit êtes-vous ?
C'est
un cap mais honnêtement, je ne me suis pas encore posée la question
! J'ai tellement l'impression que l'on va de l'avant, qu'on relève
des challenges... J'aime avancer, je suis optimiste et dynamique,
d'où notre baseline 'créateurs d'enthousiasme'. Nous sommes fiers
de notre histoire mais la plus grande fierté c'est d'être toujours
là, 200 ans après, avec l'image d'une entreprise qui s'est
développée, qui est rentable, qui se déploie sur l'international
et qui a réussi à surmonter les crises. C'est clairement ce qui
m'anime aujourd'hui.
Chiffres
- 350 salariés dont une centaine à Avelin
- 55 M€ de CA en 2024 (hors JO)
- Plus de 4 100 000 m² imprimés par an
QUESTIONS BONUS
Une personne qui vous inspire ?
C'est difficile pour moi de répondre à
cette question. Le monde est plein de surprises et en fonction de
l'âge, des lieux, des rencontres, j'ai diverses inspirations.
Un lieu ?
J'adore la nature, plutôt la campagne
et idéalement avec des animaux car cela me permet de méditer et de
réfléchir ! En France ou ailleurs...
Un conseil à un jeune dirigeant ?
"Ce n'est pas parce que les choses sont difficiles que nous n'osons pas, c'est parce que nous n'osons pas qu'elles sont difficiles". Ce n'est pas de moi mais de Sénèque ! Je ne dis pas que c'est facile, mais il faut que la France nous laisse oser.