Rencontre avec Renaud Saïsset, directeur général d'ACCRO, à Vitry-en-Artois
«Il faut remettre du végétal dans nos assiettes»
4 000 m2 dédiés aux protéines végétales : depuis février 2022, l'usine d'ACCRO, à Vitry-en-Artois, produit des alternatives aux produits carnés. Avec un succès grandissant : la marque est déjà présente dans près de 5 000 points de vente et séduit aussi les professionnels de la restauration.
À première vue, ACCRO est loin d'une
industrie agroalimentaire classique. Et pourtant, c'est bien derrière
les immenses baies vitrées avec vue sur les champs qu'est produit
l'ensemble de la gamme de produits alternatifs à la viande. L'usine
de 4 000 m2 – l'implantation, d'un investissement de 40
M€, a notamment été soutenu par l'Etat à travers trois
subventions de BpiFrance via «Résilience
et capacités agroalimentaires»
du plan France 2030 – n'en est encore qu'aux balbutiements
de ses capacités de production : actuellement, 1 000 tonnes de
produits sortent chaque année des lignes de production de
Vitry-en-Artois mais l'usine peut en produire 5 fois plus.
À la tête du site, Renaud Saïsset, un
toulousain venu dans les Hauts-de-France pour relever le défi lancé
par Thierry Maroye, à l'origine de la création de la start-up
NxtFood (plus connue sous sa marque, Accro), en 2019 à
Villeneuve d'Ascq. Il aura fallu deux ans de R&D pour aboutir à
la gamme actuelle de l'entreprise dont l'actionnariat est détenu par
deux fonds régionaux : Roquette Venture et Creadev, de la famille
Mulliez.
Des matières premières locales
«En
2019, il y avait peu d'alternatives végétales à la viande. Comme
beaucoup de tendances alimentaires, ce sont d'abord le Royaume-Uni
puis les pays nordiques qui ont lancé les nouveaux mouvements. Mais
souvent, ces alternatives étaient des produits secs et peu
savoureux, avec parfois, une liste d'ingrédients à rallonge. Le but
d'ACCRO, c'est de proposer des
produits sans aucun additif, ni colorant ni arôme artificiel.
Et ça, c'est beaucoup plus difficile»
explique Renaud Saïsset.
Fort
d'un parcours dans l'industrie agroalimentaire, cet ingénieur de
formation a commencé dans le fromage (au sein du groupe Savencia)
pour passer ensuite chez Marie puis chez Nutrition&Santé (qui
commercialisent entre autres les marques Gerblé et Céréal).
«J'avais
envie de plus de bio et de naturel»
avoue le directeur général.
C'est désormais chose faite avec son arrivée à la direction
générale d'ACCRO, en 2022 et sur une mission de taille : lancer la
production commerciale des produits qui ont nécessité deux
années de R&D.
«Pas
de compromis sur le goût»
ACCRO
s'est donc lancée un pari audacieux : proposer des alternatives
végétales à la viande, avec du goût et des textures proches des
produits carnés. «Les
pois jaunes et le blé sont nos matières premières, produites en
France. Les protéines végétales, comme elles sont globulaires,
sont peu digestes. Ici à Vitry-en-Artois, on les fait chauffer pour
que les protéines s'ouvrent, on les mélange et on les fait
refroidir pour étirer le protéine et lui donner une texture
fibreuse, similaire à celle du muscle animal. Nous sommes
spécialistes de ce procédé. Il ne faut pas faire de compromis sur
le goût et encore plus en France où l'alimentation, c'est sacré !»
détaille Renaud Saïsset.
Même
texture que la viande donc mais certainement pas le même impact
écologique : les
économies d'eau sont de l'ordre de 90% sur un steak végétal
et sa production génère 90% d'émissions de CO2
en moins.
«Il
y a beaucoup de pédagogie à faire auprès du consommateur. Nous ne
sommes pas du tout dans un positionnement 'soyons tous végétariens'.
Néanmoins, il faut savoir que 15% des émissions de CO2
sont liées à notre consommation de viande et que 70% des terres
cultivées sont pour la nourriture des animaux qui ne représentent
que... 10% de notre consommation. Le paradigme ne fonctionne plus. Il
faut remettre plus de végétal dans notre alimentation.»
Les derniers chiffres montrent d'ailleurs que 46% de la population
française serait flexitarienne.
Certification
B-Corp
Pour
autant, le principal défi reste de trouver le bon équilibre entre
le goût et... le prix. Avec cinq références au démarrage en 2022,
la marque est passée à 18 cette année. 12 ingénieurs et
scientifiques œuvrent en R&D sur la texture et le goût des
saucisses, merguez, nuggets ou encore steaks et escalopes.
«L'idée
est de vendre nos produits au même prix que la viande. C'est
indispensable si on veut démocratiser le produit. ACCRO ne s'adresse
pas à une élite»
précise le directeur général. Ces prix, ACCRO peut les proposer
grâce à la proximité des agriculteurs avec lesquels elle travaille
: pas plus loin que 200 km, en France, et un positionnement de ce
fait, ultra local.
Sur le modèle de distribution, les produits sont présents en restauration sociale (cantines, EHPAD, restaurants d'entreprise, notamment chez Google, AirFrance, BNPParibas...) ainsi qu'en restauration commerciale, par exemple chez 3 Brasseurs, Hippopotamus, ainsi que dans les hôtels Novotel et Sofitel. Plus étonnant encore, ACCRO vient de signer un partenariat avec Accor Arena, pour être distribué lors d'événements, et est aussi présents sur le festival de métal HellFest. «L'an dernier, notre partenaire a vendu plus de steaks végétaux que de steaks carnés» sourit Renaud Saïsset.
Sur l'autre moitié de son activité,
ACCRO s'est fait une place en grande distribution auprès des plus
importantes enseignes, avec 5
000 points de vente sur le territoire national.
Pour
une juste appellation des produits
Certifiée
B-Corp, l'entreprise s'est d'ailleurs félicitée dernièrement, de
la suspension du décret interdisant la dénomination «steak»
végétal par le Conseil d'Etat, le 10 avril 2024 (et qui devait
entrer en vigueur le 1er
mai prochain). «On
agace les lobbys de la viande. Mais le but n'est pas de tromper le
consommateur et d'ailleurs, aucun ne s'est trompé en achetant nos
produits. Il sait qu'il n'achète pas de la viande, c'est visible,
lisible et compris de tous».
Si ACCRO ne communique pas sur son chiffre d'affaires, elle annonce multiplier ses ventes par deux d'une période sur l'autre et prévoit d'écouler entre 80 et 100 tonnes mensuelles sur les prochaines périodes. Pour l'instant focalisée sur le développement du marché français, l'entreprise se donne évidemment des ambitions européennes. «Le marché connaît une croissance de 40%. D'ici la fin de l'année, nous serons une centaine de collaborateurs à Vitry-en-Artois. Ce projet a une dimension incroyable.»