L’aéroport ne fait plus rêver
Longtemps doté d’une image positive, l’aéroport est de plus en plus souvent associé au stress, au temps perdu, à l’inconfort. Le manque de personnel amène l’industrie aérienne à réduire le nombre de vols.
«Chaos», «enfer», «cauchemar». Sans vouloir démoraliser par avance les vacanciers qui ont choisi de partir en avion, les mots associés sur les réseaux sociaux à «aéroport», en cet été 2022, évoquent davantage une expérience éprouvante qu’une promesse d’évasion. A Montréal-Trudeau, Amsterdam-Schiphol, Londres-Heathrow, Francfort ou Paris-CDG, les mêmes scènes se répètent : longues files d’attente se prolongeant parfois à l’extérieur sous le soleil, querelles entre passagers, heures passées à attendre, assis sur les valises, encore des files d’attente, cette fois pour boire un café au prix du champagne, bagages égarés puis retrouvés dans un hangar quelques jours plus tard…
L’aéroport a longtemps véhiculé un imaginaire positif contribuant à la vulgarisation du voyage aérien : promesse d’un dépaysement, perspective d’un décalage horaire, possibilité d’acquérir des produits détaxés. Les dimanches de 1963, Gilbert Bécaud se contente de rêver, à Orly, où «l’on voit s’envoler des avions pour tous les pays». Mais aujourd’hui, Orly ne fait plus rêver. Des milliers de salariés du secteur aéroportuaire ont déserté leur poste. Cette situation prend sa source en mars 2020, lorsque le monde entier se barricade par peur du Covid. Les avions restent au sol. Les compagnies aériennes ne renouvellent pas les contrats à durée déterminée.
Les
aéroports, dont certaines fonctions, comme le nettoyage, la
surveillance ou les bagages, sont massivement externalisées, rompent
les contrats avec leurs sous-traitants. Aéroports de Paris demande à
ses salariés de réduire, «par solidarité», leur salaire
de 5%, un rabais qui s’applique encore aujourd’hui. Jusque la fin
2021, les voyages internationaux demeurent soumis aux soubresauts des
variants, à la diffusion des vaccins et aux décisions de
quarantaine. Les récits des touristes bloqués dans un hôtel à
l’autre bout du monde incitent à la prudence.
Reprise soudaine après deux ans de vaches maigres
Mais au printemps 2022, alors que le Covid fait moins partie des préoccupations quotidiennes, le marché s’emballe soudain. Les compagnies avaient tout fait pour qu’il en soit ainsi : elles obtiennent des Etats la suspension du port du masque dans les avions, alors qu’il demeure exigé, cet été, dans certains trains européens, en Allemagne ou en Italie, notamment. Mais la soudaineté de la reprise surprend l’industrie, qui prend du temps à réembaucher.
Les premiers signes de craquement ne se font pas attendre. Le week-end du 1er mai, l’aéroport d’Amsterdam admet qu’il lui manque 10% de ses effectifs, notamment des agents de sécurité et des bagagistes. Des passagers manquent leur avion, les pompiers distribuent des bouteilles d’eau, des bagarres éclatent. La plateforme conseille aux passagers d’arriver à l’aéroport avec quatre heures d’avance. Au cours des semaines suivantes, ces scènes se reproduisent dans d’autres plateformes européennes, et une grève éclate à Roissy, où les employés s’estiment sous-payés. Le secteur a annoncé des recrutements, mais ceux-ci butent sur les mauvaises conditions de travail, les horaires décalés et l’absence de revalorisation des salaires.
Pour
les observateurs et les syndicalistes, la seule manière de prévenir
les difficultés consiste à limiter le nombre de mouvements aériens.
Début juillet, plusieurs compagnies comme KLM, Air France ou
Lufthansa suppriment des vols, tandis que la compagnie low-cost
Easyjet limite le recours aux correspondances pour la période
estivale. Londres-Heathrow, qui accueillait 125 000 passagers par
jour en 2019, fixe une limite maximale à 100 000 pour l’été
2022, jusqu’en septembre.
Les
jets privés en accusation
Depuis peu, les jets privés sont également mis en accusation. Ces déplacements émettent en effet dix fois plus de CO2 par passager que les vols commerciaux, car ils transportent beaucoup moins de personnes. Depuis le 1er mai, sur les réseaux sociaux, un compte baptisé «L’avion de Bernard» trace et publie chaque mouvement effectué par le jet privé de Bernard Arnault, PDG du groupe LVMH. Les destinations donnent le tournis : Paris-Tokyo-Los Angeles-West Palm Beach en moins d’une semaine, ou Paris-Nice dans la même journée, puis de nouveau deux jours plus tard, peut-être pour aller chercher, à vide, le propriétaire de l’avion. D’autres comptes tracent les appareils des groupes Bouygues ou Total, qui servent principalement à transporter les dirigeants de ces entreprises.
L’avion ne suscite plus le même enthousiasme, y compris sur terre. L’abandon du quatrième terminal de Roissy, en 2021, donnent de la visibilité aux opposants des aéroports. Début juillet, l’Etat a validé la «modernisation» de la plateforme de Lille-Lesquin, qui accueillait 2,2 millions de voyageurs en 2019. La société Eiffage, qui dirige depuis 2020 le consortium gestionnaire, espère porter la capacité de l’aéroport à près de 4 millions de passagers en 2039. Des riverains, des associations environnementalistes, soutenus par des élus locaux, ont annoncé qu’ils présenteraient des recours administratifs.