Mobilités
L’énorme marge de progression des transports publics
Une enquête récente montre que les citadins seraient disposés à davantage utiliser les transports en commun. Ce changement d’habitudes reposerait non pas sur une conscience environnementale, mais sur la facilité d’usage et le renforcement de l’offre.
«On
aime la bagnole, et moi je l’adore». Quand Emmanuel Macron,
le 24 septembre, a lâché sa déclaration d’amour à la voiture
individuelle, dont le gouvernement cherche pourtant à réduire
l’usage pour des raisons tant environnementales que de santé
publique, les dirigeants des entreprises de transport collectif ne
l’ont curieusement pas pris pour eux.
Les responsables de Transdev,
Keolis ou la RATP, réunis pour une conférence de presse de l’Union
des transports publics (UTP), le 3 octobre, minorent les propos du
président de la République. «Les gens aiment la voiture,
c’est une réalité, 83% des kilomètres parcourus se font ainsi»,
réagit Thierry Mallet, PDG de
Transdev. «Dans les communes éloignées, même si
elles sont dans le périmètre d’une métropole, il faut faire avec
la voiture», ajoute Marc
Delayer, vice-président de l’UTP, ce que par ailleurs
personne ne conteste. «Cette phrase [du président],
on ne la perçoit pas comme une opposition aux transports publics»,
insiste Marie-Ange Debon,
présidente du directoire de Keolis et présidente de l’UTP.
Des moyens de transports concurrents
La
dirigeante de l’organisation professionnelle préfère retenir
«les déclarations d’amour» dont fait preuve
l’exécutif à intervalles réguliers : « Les
transports publics, c’est la liberté » (Elisabeth
Borne), «Il faut un transfert de la voiture individuelle
vers des transports collectifs moins émetteurs» (Emmanuel
Macron). Car ces deux moyens de transports sont bel et bien
concurrents, comme le confirme l’enquête dévoilée le même jour
par l’UTP. Effectuée par l’Ifop auprès de 4 000 personnes
vivant dans des agglomérations de plus de 20 000 habitants, l’étude
montre que les principaux freins à l’usage des transports publics
sont les temps de trajet trop longs, les contraintes horaires, ou les
arrêts éloignés du lieu de départ ou de destination. Or, c’est
justement «la rapidité» que 77% des usagers
demandent d’abord à leur moyen de déplacement.
La
marge de progression n’en est pas moins énorme. Dans les
agglomérations concernées par l’enquête, toutes équipées d’un
réseau plus ou moins dense de transports publics, seules 52% des
personnes l’ont emprunté au cours des douze derniers mois pour un
déplacement quotidien (hors vacances et déplacements
exceptionnels), contre 59% pour un mode motorisé et 64% pour la
mobilité dite «active», marche et vélo. 8% des
enquêtés estiment qu’il leur serait «très facile»
de se passer de leur automobile, et 13% jugent un tel abandon «assez
facile». 22% des citadins considérés comme dépendants
de la voiture seraient même disposés à déménager afin de moins
l’utiliser. «Les personnes envisageant ce changement
représentent un premier vivier d’urbains susceptibles de se
convertir aux transports publics», observe
Jérôme Benoît, directeur du pôle services à l’Ifop.
Les usagers veulent des transports fiables
Que
faut-il pour séduire cette clientèle potentielle ? A l’instar
de la SNCF qui diffuse dans ses TGV des messages tels que «Vous
avez préféré le mode de transport le plus écologique»,
les transporteurs rêveraient que les passagers soient sensibles à
l’impact environnemental de leurs déplacements. Mais ce n’est
pas vraiment le cas. Seuls 17% des citadins jugent ce critère
«extrêmement important», une proportion bien
moindre que la sécurité, la rapidité, le coût ou le confort.
Lorsqu’on demande aux usagers de préciser ce qui les amènerait à
changer d’habitudes, ils citent principalement une «évolution
de leur situation personnelle» (42%) ou un
« déménagement » (22%), et seulement 13% la
«prise de conscience écologique». Le coût
n’est pas non plus un facteur de changement : seuls 20% des
sondés estiment que «le prix des abonnements est trop
élevé».
En
fait, les usagers apprécient tout simplement… la possibilité de
se déplacer. Comme le souligne l’enquête, «les
utilisateurs des transports publics en ont une bien meilleure
perception que les non-utilisateurs». Ils plébiscitent la
fréquence des passages, la ponctualité ou l’amplitude horaire,
c’est-à-dire des transports circulant tôt le matin et tard le
soir. L’enquête met en évidence l’importance de «l’offre»,
comme on dit dans le jargon des transports. Celle-ci consiste à
créer de nouvelles lignes, mais aussi, voire surtout, à assurer une
régularité sur les lignes existantes. Il faut pour cela un matériel
en bon état, mais aussi du personnel. Or, malgré des campagnes de
communication et de recrutement, les conducteurs de bus manquent
toujours. Les procédures administratives ne facilitent pas la tâche
des transporteurs. «Entre l’obtention du permis de
conduire et le début du travail effectif, il peut se passer deux
mois et demi, pour des raisons de procédures», dénonce
Marie-Ange Debon.
L’UTP
insiste enfin sur «la perception de l’offre»,
autrement dit la connaissance du réseau par les citadins. Nombre de
riverains ignorent qu’un bus traverse leur quartier ou que le
tramway roule jusqu’à minuit. Parmi les facteurs d’amélioration
repérés par l’UTP figure l’accès aux stations ou arrêts.
L’Ifop s’est demandé ce que signifiait «ne pas avoir
accès à pied» à un arrêt de bus, par exemple. Pour 38%
des sondés, cela correspond à un temps de parcours de 10 à 15
minutes. Autrement dit, plus de 60% des citadins sont prêts à
marcher 10 minutes pour rejoindre leur arrêt. Or, en pratique, «la
moitié des urbains ont accès à un transport public à moins de 10
minutes de chez eux», note l’organisation
professionnelle. Message transmis aux élus : faites des
trottoirs dignes de ce nom, et vous aurez du monde dans vos bus.