Requalification urbaine
La revitalisation annoncée des entrées de ville
La grande distribution a changé de discours. Elle admet désormais que les zones commerciales d’entrée de ville, consommatrices d’espace et de ressources, ne font plus rêver. Le gouvernement souhaite aider financièrement le secteur à requalifier ces lieux.
«On
ne le fera plus». Les géants du commerce jurent, la main
sur le cœur, qu’ils n’artificialiseront plus un hectare pour
construire un complexe commercial. Invités à Bercy le 11 septembre
par les ministres Olivia Grégoire (Commerce), Christophe Béchu
(Transition écologique et Cohésion des territoires) et Patrice
Vergriete (Logement), une centaine de représentants du secteur ont
célébré le «nouvel horizon» que le
gouvernement entend donner aux «zones commerciales».
Ces
étendues périphériques, dont certaines sont en construction ou en
projet, quoi qu’en disent les promoteurs, concentrent tous les
défauts, si on se réfère à la description qu’en fait Olivia
Grégoire. Elles sont «l’incarnation du XXème
siècle», identifiées à «la consommation de
masse, l’automobile pour tous, le pavillon pour chacun».
Certes, ces zones «offrent tous les services d’une ville.
Sont-elles devenues des villes pour autant ? Je ne le pense pas,
parce qu’elles ne sont pas à hauteur d’homme», ajoute
la ministre, en ponctuant son discours d’un définitif : «la
course aux mètres carrés est terminée».
Pour
l’occasion, le gouvernement fait évoluer son vocabulaire. Il était
jusqu’ici question à Bercy de «centres commerciaux»,
rassurants symboles de centralité. On ne parle plus désormais que
de «zones commerciales» qui, toutes ou presque,
«présentent le même aspect, larges voies bordées de
panneaux publicitaires, magasins isolés avec des façades
généralement en tôle et entourés de vastes parcs de
stationnement».
«La
France a davantage artificialisé en 50 ans que dans les 500 années
précédentes», résume Christophe Béchu. Soixante ans
après le baptême du premier hypermarché par l’écrivaine
Françoise Sagan, dans la banlieue sud de Paris, les bâtiments
ont vieilli, leurs maigres murs, passoires thermiques, ne les
protègent plus du froid et encore moins de la chaleur. De nombreuses
zones autrefois florissantes se sont dégradées au point de
ressembler à des friches commerciales. Ces observations, qui
faisaient l’unanimité depuis plusieurs années chez les
urbanistes, sociologues et autres environnementalistes, restaient
jusqu’alors contestées par les représentants du secteur et les
décideurs politiques.
La grande distribution se réjouit
Faut-il
abandonner les zones à leur triste sort, en misant sur une
renaturation à plus ou moins brève échéance ? Le
gouvernement ne s’y résout pas. Il opte, à l’inverse, pour
«une expérimentation à grande échelle», dans
une vingtaine des 1 500 zones existantes. Le foncier commercial y sera
«rationnalisé» et densifié. Des espaces verts
doivent être aménagés, ainsi que des logements ou des activités
industrielles. Dans les zones éloignées des grandes villes, il
s’agira d’implanter «de nouvelles activités».
Pour
faciliter la mutation de ces quelques entrées de villes, l’Etat
met 24 millions d’euros sur
la table. L’enveloppe financera des «études de
préfiguration» ou le recrutement d’un chef de projet,
mais aussi «une partie du déficit d’exploitation
commerciale» résultant de l’opération. La grande
distribution se réjouit. «Toutes les zones arrivent à
bout de souffle, il est temps de changer de paradigme»,
admet Antoine Grolin,
président de Ceetrus, la société foncière du groupe
Auchan. Celui qui se présente comme «un petit-neveu de
Gérard Mulliez» se dit désormais «inspiré par
la ville du quart d’heure», un concept généralement
critiqué pour ne s’appliquer qu’aux cœurs des métropoles. Pour
Bastien Grandgeorge,
directeur général de Décathlon, «c’est l’occasion de
moderniser nos bâtiments et de les rendre plus verts».
Mais
la grande distribution insinue, déjà, que le budget prévu serait
insuffisant. «Pour convaincre les commerçants de déplacer
leur magasin, il faudra aligner tous les outils», avance
prudemment Marie Cheval, présidente
de Carmila, la foncière du groupe Carrefour. «Il
faut partager les risques, et ces projets demandent des moyens»,
ajoute un responsable de Leroy-Merlin. Antoine
Frey, président du puissant groupe immobilier familial, est
plus franc encore : «L’argent ne nuit jamais, et
vous nous en ferez surtout économiser en simplifiant l’horreur
administrative».
Le
gouvernement se montre plutôt disposé à céder à ces demandes.
«S’il faut de l’argent, on en mettra, et s’il faut de
la simplification administrative, on le fera», réagit
Christophe Béchu. Ce ne sera toutefois jamais autant que ce que
demandaient, en mars 2021, les grands distributeurs. Déplorant
lui-même la prolifération des «boîtes à chaussures»
en entrée de villes, Gontran
Thüring, qui présidait alors le Conseil national des centres
commerciaux (CNCC), estimait que les zones à l’abandon pourraient
constituer des «bases avancées de livraison à domicile»,
«servir à la construction de logements sociaux»
ou être «reconverties» en surfaces neuves. Et
pour «compenser le coût de la reprise de la friche»,
l’organisation réclamait «une exonération de taxe
foncière pendant cinq ans» ainsi que la possibilité de
«réaliser un petit agrandissement, de 30% environ, sans
artificialiser». Pour l’heure, le gouvernement n’a pas
suivi ces recommandations, mais la grande distribution a montré dans
l’histoire récente qu’elle savait admirablement négocier.