En période estivale
Trop de touristes tuent le tourisme
La surfréquentation de certains sites dérange les habitants, détruit la biodiversité et pèse sur le climat. Le «tourisme durable» suppose une adaptation des sites et une régulation des visiteurs, mais aussi la création de nouveaux imaginaires, explique une étude dédiée.
Les
touristes n’ont-ils aucune imagination ? En Corrèze, le village de
Collonges-la-Rouge est envahi dès l’aube par des
dizaines de visiteurs pour se photographier devant les murs ocres, entre une boutique de
souvenirs et une terrasse bondée. La localité voisine, Meyssac,
qui arbore les mêmes pierres rouges, demeure déserte. Dans
le nord de l’Alsace, Hunspach
a été sacré «village préféré des Français»
par une émission de télévision en 2020. Les visiteurs s’y
précipitent pour admirer les maisons à colombages aux vitres en
verre bombé, encombrant les rues de leurs véhicules, «alors
que d’autres villages présentent les mêmes caractéristiques, à
quelques kilomètres», souligne l’office de tourisme des
Vosges du Nord. Pour attirer des touristes, il suffit d’une série
télévisée vantant des falaises, d’un champ de lavande
instragrammé par un influenceur ou d’un classement dans la liste
des «plus belles plages d’Europe», par un
journal britannique.
Au-delà
de ce désespérant suivisme,
ces comportements ont des conséquences sur les lieux visités. La
surfréquentation dérange les habitants, détruit la biodiversité,
accentue la dégradation du climat et finit par enlever tout le
plaisir de la visite aux vacanciers eux-mêmes. L’impact
environnemental du tourisme fait désormais l’objet d’études
sérieuses. En France, la part du secteur dans le PIB atteint 7,4%,
mais génère 11% des gaz à effet de serre, indique un «livre
blanc» intitulé «Le tourisme en transition»,
publiée en avril dernier par le groupe
Scet, conseil aux collectivités dépendant de la Caisse des
dépôts et consignations, et Sociovision,
filiale de l’Ifop.
Pas
moins de 200 labels ou certifications
Les
touristes, que nous sommes tous, sont conscients de l’impact du
surtourisme. Selon une étude menée en 2019 par Sociovision, 64% des
clients du secteur disaient ne pas supporter «les sites
très fréquentés par les touristes», tandis que 81%
étaient d’accord avec l’affirmation suivante : «le
développement touristique dénature certains sites et certaines
villes».
Sociovision
et la Scet se sont penchés sur «les freins sociétaux»
qui entravent les pratiques plus vertueuses. Tout d’abord, nous
peinons à renoncer aux plaisirs de la société de consommation.
Ensuite, il n’y aurait pas suffisamment d’« alternatives
abordables au tourisme de masse ». Enfin, nous manquons
«d’exemples concrets pour définir ce qu’est une
attitude touristique responsable».
Le
tourisme «durable» ou «écoresponsable»
n’est pourtant pas un concept nouveau. Les structures
professionnelles, les pouvoirs publics, les associations de
consommateurs ou les ONG environnementalistes décernent des labels,
certifications et autres trophées. Les auteurs en ont relevé plus
de 200. Mais «ces travaux restent ignorés du grand public
et ne semblent pas infléchir le marché», observe
l’étude.
Sociovision
et la Scet délivrent plusieurs conseils aux animateurs des
destinations. Ils peuvent ainsi investir dans la mesure de
l’empreinte carbone ou «encadrer» les
atteintes à la biodiversité, en limitant «les flux trop
importants, les activités motorisés ou la pollution lumineuse».
La jauge peut être calibrée en fonction de l’affluence et de la
saison, en jouant sur «les modalités de visite, les
réservations préalables de créneaux, la capacité d’hébergement
et l’ingénierie du stationnement». La nécessité de
préserver un site peut même conduire à le «désartificialiser».
Plan gouvernemental de régulation
Plusieurs
collectivités ont déjà mis en pratique ces recommandations. Ainsi,
pour se rendre dans la calanque de
Sugiton, à Marseille, il est nécessaire de réserver sa
visite sur un site dédié. Le 20 juillet, aucun créneau n’était
disponible pour les jours suivants. Une plage de la presqu’île de
Crozon (Finistère), connue
pour son sable blanc, est interdite au public. L’office de tourisme
des Gorges de l’Ardèche incite les amateurs de descentes en canoë
à choisir des horaires moins fréquentés. A Etretat
(Seine-Maritime), un parking bitumé a été supprimé en haut d’une
falaise, afin d’amener les visiteurs à grimper à pied plutôt
qu’à s’arrêter cinq minutes, moteur allumé, pour une
photo-souvenir. Contrairement à ce que l’on pourrait imaginer, ces
mesures sont plutôt bien comprises et acceptées par les visiteurs.
Annoncé
le 18 juin, un plan gouvernemental pour réguler les sites
touristiques s’inspirera sans doute des exemples les plus vertueux.
Pour l’heure, la ministre du Tourisme, Olivia Grégoire, qui
a été reconduite lors du remaniement du 20 juillet, s’est
contentée de programmer la publication d’un «guide
pratique», d’ici la fin de l’année, et la création
d’un «Observatoire des sites touristiques majeurs»,
afin de remédier au «manque cruel de données».
Cela
permettra peut-être de vérifier le chiffre, avancé par la
communication gouvernementale, selon lequel «80% de
l’activité touristique se concentre sur 20 % du territoire».
Le «livre blanc» sur le surtourisme propose d’ailleurs
de développer « de nouveaux imaginaires ». Parmi
les pistes proposées figurent des «voyages itinérants par
le rail, le fluvial ou le vélo», la valorisation des
lieux appréciés par les riverains, parc, rivière ou musée local,
ou encore l’«aménagement des espaces publics à
destination des visiteurs comme des habitants». Histoire
de ne pas tous marcher à queue-leu-leu
sur un chemin de Lozère.