Retrouver de la valeur dans le travail
Les représentants patronaux François Asselin (CPME), Mélanie Berger Tisserand (CJD) et Pierre Guillet (EDC) ont dressé, le 13 septembre dernier, devant les journalistes de l’AJPME (association des journalistes des PME) un bilan de l’état d’esprit des dirigeants de TPE-PME. Décryptage des grands enjeux sociaux et des priorités des chefs d’entreprise.
«Il
faut repenser le travail et la façon dont on travaille»,
a martelé Mélanie Berger
Tisserand
, présidente du CJD (Centre des Jeunes dirigeants), lors
de la conférence de rentrée de l’AJPME (Association
des journalistes des PME). Pour la présidente de ce mouvement né en
1938 qui compte 6 000 membres en France et dans 17 pays, l’un
des principaux enjeux concerne la place du travail.
Alors que pour le gouvernement le travail est «émancipateur»,
elle constate que «tous
ne le sont pas. Il y a un vrai souci avec le rapport que l’on a au
travail».
«Il
ne s’agit pas de travailler plus, il s’agit de travailler mieux,
en répartissant mieux la richesse produite»,
expliquait le CJD dans un communiqué du
18 janvier dernier, suite à la présentation de la réforme des
retraites par le gouvernement. «La
réforme des retraites n’était pas la priorité. La priorité
c’était de repenser le travail et faire un pas de côté»
a-t-elle commenté.
Soit «quel
sens on donne au travail, pourquoi aujourd’hui nous travaillons ?
Au bénéfice de quoi ?»,
a-t-elle ajouté.
Impliquer les nouvelles générations
Pour
Pierre Guillet, président de l’EDC, mouvement des Entrepreneurs
et dirigeants
chrétiens,
né en 1926 et qui
compte
3 500 membres en France et à l’international, il est
également urgent de «réenchanter
le travail»
et de mener «une
vraie réflexion sur la façon dont on le rend attractif pour pouvoir
embarquer et impliquer les nouvelles générations».
Un changement du rapport au travail qui met les entreprises en grande
difficulté pour recruter. Le marché oblige les chefs d’entreprise
à «vendre
leur entreprise. A la fin d’un entretien, ce n’est plus
l’employeur qui dit au candidat "Je vous rappellerai", mais le
candidat»,
constate Mélanie Berger Tisserand.
Autre
sujet-clé, pour
François Asselin, président de la CPME (Confédération des petites
et moyennes
Entreprises, 243 000 adhérents, plus de 4 millions de salariés,
117 branches professionnelles adhérentes) : la fidélisation
des collaborateurs. «De
plus en plus de nos adhérents sont décontenancés par ce qu’ils
vivent. C’est déstabilisant lorsque l’on n’a plus la main sur
des engagements»,
notamment le souhait des salariés de faire des breaks de six mois à
un an et la problématique «des
jeunes générations qui conçoivent leur projet de vie personnelle
en dehors de leur vie professionnelle ».Ce
changement de paradigme ne serait finalement pas une mauvaise
chose, pour la présidente du CJD, également à la tête du cabinet
d’expertise-comptable EMS Audit : «ce
n’est plus le patron qui dirige en mode micro-management, mais un
travail
d’équipe dans lequel on réfléchit à la meilleure façon de
coopérer ensemble».
Cela oblige les managers à modifier leur approche de la relation au
travail, au sein même de l’entreprise.
Flexibilité et créativité
Le
CJD expérimente en ce sens plusieurs pistes pour améliorer le
travail, comme la gouvernance partagée, qui permet d’intégrer des
collaborateurs pour co-décider et réfléchir ensemble à l’avenir
et aux choix d’orientation économique de l’entreprise. «Cela
permet d’aller chercher de la créativité et de partager avec
l’équipe sur des sujets qui peuvent être anxiogènes»,
commente-t-elle. Les entreprises doivent
«préserver un climat social
sain pour pouvoir être combatif dans un environnement qui est
complètement incertain»,
commente Pierre Guillet.
Interrogés
sur la question de la transition énergétique,
les
présidents des trois organisations et mouvements patronaux
sont unanimes sur la prise de
conscience des chefs d’entreprises de la nécessité d’agir.
Pierre Guillet a notamment insisté sur la nécessité de repenser à
la raison d’être de l’entreprise. «Il
faut le faire avec les salariés qui sont capables de réinventer
leur modèle économique. Les idées viendront du terrain. C’est en
plus un facteur d’attractivité pour l’entreprise».
Autres pistes expérimentées par le CJD
pour améliorer les conditions de travail, la semaine de 4 jours sur
35 heures ou 32 heures sans réduction de salaire, les congés
illimités, l’hébergement de saisonniers, ou, en termes de
rémunération, le partage de la valeur. François Asselin constate
que «les augmentations
individuelles ont été très dynamiques»
pour fidéliser les collaborateurs et que les PME «qui
peuvent le faire sont favorables au partage de la valeur».
Cette prime étant selon lui «le
véhicule le plus adapté pour les petites entreprises».
Insertion et inclusion
Autre
chantier de taille pour les entreprises, l’insertion par le travail
des personnes en situation d’exclusion. Les chefs d’entreprises
qui
adhérent
au mouvement des EDC sont particulièrement «sensibles
à l’insertion des plus fragiles»,
faisant notamment référence aux «parties
manquantes»
dans les entreprises que sont les jeunes décrocheurs ou les
personnes en situation d’exclusion. «L’entreprise
par le travail redonne une dignité»,
confirme Pierre Guillet. Mais au-delà des vœux d’ouverture et
d’inclusion formulés par le mouvement des EDC, François Asselin
reconnaît qu’il faut «souvent
un accompagnement très important»
pour ces personnes éloignées de l’emploi. Pour raccrocher les
deux millions d’allocataires du
RSA,
il faut l’intervention d’«une
tierce personne qui s’occupe de leur accompagnement social»,
pour leur apprendre les codes de communication, les aider à trouver
un logement… En ce sens, la préparation opérationnelle à
l’emploi (POE) permet de les insérer et de les former au sein de
l’entreprise, avec un «taux
de réussite de 80% à six mois»,
constate-t-il.
Autre
piste à creuser pour pallier les difficultés croissantes de
recrutement : les seniors. Au sein d’Hesion, l’entreprise
technologique que le président des EDC dirige depuis 2017, le
dirigeant
se félicite d’avoir, parmi ses dernières recrues, embauché deux
seniors de 62 et 66 ans, dont l’un était un ancien salarié parti
à la retraite. «Il
travaille deux jours par semaine pour nous. Il a une énergie
incroyable et assure la courroie de transmission avec les plus
jeunes, car il a fait toute sa carrière chez nous».
Pour lui, il y a sans conteste une place à trouver pour les plus
anciens.